lundi 14 septembre 2015

Les oiseaux marins victimes de l’ours blanc

Avec le réchauffement climatique, l’ours polaire change d’habitat… et de proie. Ses attaques se multiplient sur les oiseaux migrateurs.
Des razzias sur les œufs d’oiseaux marins : c’est la technique de chasse désormais privilégiée par les ours blancs sur les côtes des régions polaires. Les nids, construits à même le sol au début de l’été, sont la cible d’un nombre croissant d’attaques. Entre 2004 et 2014, une équipe pluridisciplinaire de chercheurs danois, norvégiens et allemands a étudié cette tendance. Ils se sont penchés sur le cas de trois espèces : la bernache nonnette, l’eider à duvet et le goéland bourgmestre.

Durant cette période, sur cinq sites de Norvège et du Groenland, des observateurs ont compté les nids d’oiseaux marins. Ils ont également noté quotidiennement le nombre d’ours polaires présents sur les cotes entre juin et août et la quantité de nids détruits. Ainsi, en été 2004, sur l’île de Diabasøya au Svalbard, l’équipe a relevé une moyenne de cinq ours observés par jour. Soixante pour cent des nids de bernaches nonnettes ont été détruits au cours de la saison. Une décennie plus tard, en 2014, le nombre d’ours observés s’élevait à 25 par jour, pour 90% de nids pris d’assaut.

Un ours en train de manger des oeufs dans les nids de bernaches nonnettes. © Jouke Prop

L’équipe a également relevé l’arrivée de plus en plus précoce des ours, qui quittent la banquise en dégel au début de l’été, au profit des terres. Entre 2004 et 2014, les ours ont avancé leur arrivée d’environ trois semaines. Certains parviennent sur les côtes au début du mois de juin, alors que la majorité des œufs n’ont pas encore éclos. Ils se facilitent ainsi la tâche et peuvent doubler les autres ours polaires concurrents.

La cause envisagée par l’équipe pour expliquer cette évolution comportementale serait le réchauffement climatique. D’années en années, la fonte de la banquise est plus importante et dure plus longtemps. Or, c’est uniquement sur la glace que les ours peuvent chasser le phoque, leur proie habituelle. Privés de cet environnement, ils sont contraints de se replier sur les œufs, dont la valeur nutritive est satisfaisante. Afin d’étayer cette hypothèse, l’équipe a comparé, pour chaque année, la durée de la saison du gel et le nombre d’ours observés sur les côtes. Conclusion : moins la banquise dure longtemps et plus les ours investissent la terre ferme.

Cette attitude est une option d’autant plus cohérente que les côtes faisaient autrefois partie de l’habitat naturel des ours. «En fait, souligne David Grémillet, du Centre d’Ecologie fonctionnelle et évolutive du CNRS, ils recolonisent des terres qui étaient les leurs à l’origine, avant qu’ils ne soient chassés par l’homme au début du XXeme siècle. » C’est donc une ancienne habitude que les ours reprennent, au détriment des oiseaux. La reproduction de ces derniers pourraient être, à terme, perturbée par ce retour.

« La mort des nouveau-nés est fréquente en Arctique, du fait des conditions climatiques extrêmes et imprévisibles, explique David Grémillet. Pour l’instant, les oiseaux migrateurs savent s’adapter. Mais la présence de l’ours pourrait leur rendre la tâche de plus en plus difficile. » Si la fonte des glaces continue, les chercheurs craignent que la prédation ne s’accentue, avec pour résultat la diminution de la capacité de renouvellement des oiseaux marins.

Cette tendance est d’autant plus problématique que les oiseaux doivent aussi, comme les ours, faire face aux contraintes du climat. « Certaines espèces se nourrissent de zooplancton, dont la quantité dépend directement de la présence de glace, s’inquiète David Grémillet. D’autres, comme la mouette ivoire, subsistent grâce aux carcasses de phoques laissées par les ours. » Si ces derniers changent leurs pratiques, elles sont vouées à disparaître. Pour l’équipe à l’origine de l’étude, cette situation illustre parfaitement comment l’adaptation des espèces participe aux effets en cascade du changement climatique.
Par Thibault Panis

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