« Tous les cerveaux sont différents »
Hugues
Duffau, neurochirurgien au CHU de Montpellier, retire les tumeurs
cérébrales en réveillant les patients lors de l’opération. Grâce à un
protocole très établi, il stimule temporairement les aires touchées et
autour de la tumeur pour déterminer en fonction du comportement du
malade la zone à enlever sans nuire à ses capacités motrices,
intellectuelles et émotionnelles. Cette technique lui permet de tester in vivo à chaque opération les réseaux de connexions cérébrales.
Cela ne tient pas du miracle. J’ai réalisé ce type d’opération des centaines de fois. Le cerveau fonctionne grâce à de multiples réseaux parallèles, redondants, interconnectés, capables de se compenser. C’est ce qui sous-tend (ou rend possible) la plasticité cérébrale. C’est pourquoi lorsque j’opère, l’objectif n’est pas de préserver une aire corticale parce qu’elle correspondrait à une fonction mais plutôt d’éviter de couper les réseaux qui soutiennent les fonctions cérébrales essentielles (sensorimotrices, cognitives, comportementales), et préserver leurs interconnexions indispensables pour que la compensation se fasse.
Avant de retirer la tumeur, je dois déterminer donc la carte de connexions, à proximité de la tumeur, de la personne que j’opère. Je le fais en produisant des stimulations électriques de faible intensité chez le patient éveillé – je rappelle que le cerveau a la particularité de ne pas ressentir la douleur. Ainsi, pendant que je sonde le cortex et les fibres d’association, un orthophoniste demande à la personne de nommer des objets, de compter, de bouger son bras, etc (NB liste non limitative). Si le patient continue à parler et à bouger normalement, je sais alors que je peux intervenir sans dommage à cet endroit avec le bistouri. En revanche, si le patient confond les mots, fait des erreurs de syntaxe, ou reste coi, je dépose un repère à l'emplacement testé pour me garder d'y toucher par la suite. De même, un neuropsychologue vérifie si des fonctions complexes comme l’empathie, la capacité à percevoir l’état d’esprit d’autrui ne sont pas perturbées par mes stimulations. Ainsi tel un géomètre-topographe, je dresse un relevé sur le terrain des fonctions présentes dans cette partie découverte du cerveau.
Nous avons tous une cartographie différente. Et j’irai plus loin, cette cartographie évolue dans le temps en fonction de nos expériences. Ainsi j’ai ré-opéré de nombreux patients pour une tumeur que j’avais partiellement retirée quelques années auparavant, car elle touchait à des fonctions essentielles à préserver. Or j’ai constaté que la cartographie que j’avais réalisée à l’époque n’était plus la même. Les fonctions s’étaient déplacées. J’ai pu enlever entièrement le reste de la tumeur sans affecter ces patients. La plasticité du cerveau est plus impressionnante qu’on ne l’imagine. Heureusement, car c’est ce qui nous permet de compenser les lésions qu’on risque d’avoir au cours de notre vie, et notamment le vieillissement. Plus on vieillit, plus on a tendance à avoir un recrutement bi-latéral dans le système nerveux central. C’est ainsi qu’on arrive à effectuer la même tâche, avec la même efficacité à 60 ans qu’à 25, malgré la perte de millions de neurones au fur et à mesure du vieillissement. La plasticité générale du cerveau passe par le renforcement des différentes connexions, c’est à dire la plasticité synaptique, mais également par une bonne sélection des réseaux à utiliser pour assurer une fonction, afin qu’ils soient optimisés, et non figés. Pour moi, le connectome est étroitement lié à la dynamique de fonctionnement du système nerveux central et à la plasticité cérébrale. »
Propos recueillis par Mathias Germain
http://www.larecherche.fr/verbatim-neurosciences/%C2%AB%C2%A0tous-les-cerveaux-sont-diff%C3%A9rents%C2%A0%C2%BB
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