Plantes et champignons, un couple bien enraciné
Grâce
au séquençage de génomes de champignons, une équipe est parvenue à
reconstituer l'histoire de leur partenariat avec les arbres.
Photo : Coupe de racine lors d'une symbiose ectomycorhizienne. En vert, le champignon se développe dans la racine de la plante, autour des cellules de celle-ci (en bleu) © Francis Martin.
Photo : Coupe de racine lors d'une symbiose ectomycorhizienne. En vert, le champignon se développe dans la racine de la plante, autour des cellules de celle-ci (en bleu) © Francis Martin.
Il y a plus de 400 millions d'années, les plantes et les champignons développaient un partenariat étonnant. Ils commençaient à échanger les nutriments indispensables à leur croissance respective - l'azote et le phosphore pour la plante, le glucose pour le champignon. Cette association, appelée mycorhize, a favorisé le développement des plantes dans la plupart des écosystèmes terrestres. Surtout, elle s'est diversifiée au cours du temps, avec de nombreuses nouvelles apparitions, jusqu'à exister sous de multiples formes actuellement. L'une de ces formes, l'ectomycorhize, est particulièrement importante. Elle s'est mise en place il y a probablement 180 millions d'années, entre les ancêtres d'espèces de champignons actuels, comme le bolet, et les pins du Jurassique. Et elle a en effet facilité l'expansion formidable au coeur du Jurassique et du Crétacé des forêts de conifères et de plantes angiospermes, ancêtres de nos forêts tempérées actuelles. Comment l'ectomycorhize est-elle apparue ? Comment a-t-elle évolué ? C'est ce qu'ont découvert Francis Martin, de l'Inra à Nancy, et son équipe .
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L'étude phylogénétique a montré que les premiers champignons xylophages, qui se nourrissent du bois en le dégradant, étaient des pourritures blanches. Leur arsenal enzymatique est extrêmement varié. Il comporte des enzymes qui leur permettent de dégrader les différents composés complexes du bois, parmi lesquels la lignine ou la cellulose. Les pourritures brunes dérivent de ces pourritures blanches ancestrales. Leur arsenal enzymatique est déjà beaucoup moins important. Ces pourritures colonisent surtout le bois des conifères. Elles dépolymérisent la lignine sans la dégrader grâce à des radicaux libres. Ce n'est donc pas une réaction enzymatique, mais seulement une réaction chimique d'oxydation, ce que l'on appelle la réaction de Fenton. Enfin, chez les champignons ectomycorhiziens dérivant des pourritures blanches ou brunes, les enzymes ont pratiquement disparu. « Ce qui est fascinant, commente Francis Martin, c'est qu'on n'a pas trouvé de réversion dans ce processus évolutif, c'est-à-dire le processus inverse : c'est un cul-de-sac évolutif mais un succès adaptatif. »
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À partir de ces résultats, deux hypothèses se dégagent autour des raisons de cette perte d'enzymes de dégradation. La première : les champignons ont gardé au début quelques-unes de leurs enzymes puis les ont perdues progressivement car ils ne les utilisaient plus. En effet, « cela représente un coût pour le champignon de maintenir des gènes fonctionnels s'ils ne servent plus », indique Jacqui Shykoff, du laboratoire écologie, systématique et évolution à l’Université Paris-Saclay, à Orsay. La seconde : ils ont été obligés de les perdre pour interagir avec les arbres afin de ne pas abîmer les racines qui les hébergeaient et d'éviter de provoquer les réactions de défense et de rejet.
L'étude des champignons éricoïdes conforte la première hypothèse. Ces derniers sont apparus il y a seulement 100 millions d'années, soit bien plus tard que les champignons ectomycorhiziens, et leur évolution est à un stade moins avancé. Ces champignons éricoïdes ont perdu la capacité de dégrader la lignine alors que les enzymes de dégradation de la cellulose sont toujours présentes. « Ce scénario évolutif a été confirmé avec l'étude, depuis la parution de notre travail, de 50 nouveaux génomes mycorhiziens, note Francis Martin. Dans quelques génomes de champignons ectomycorhiziens, nous avons ainsi retrouvé quelques enzymes de dégradation de la cellulose. Notre objectif est de trouver une famille de champignons qui présente toutes les étapes successives du processus d'érosion génomique. »
Parallèlement à cette érosion génomique, l'équipe de Francis Martin a observé qu'un autre phénomène était commun à tous les génomes étudiés : l'apparition de gènes nouveaux permettant l'interaction avec les plantes.
Protéines de communication
Ils sont uniques et codent des protéines nouvelles qui sont transmises à la plante. D'après Francis Martin, « ces gènes sont exprimés très fortement par le champignon lors de l'interaction symbiotique ». Les protéines en question sont sécrétées dans l'interface entre deux partenaires, et migrent en quelques minutes dans les cellules de la plante hôte, où elles modifient l'expression des gènes. Elles seraient donc ce que l'on appelle des protéines effectrices, c'est-à-dire des protéines qui permettent le transfert d'informations à l'intérieur de la cellule de l'hôte. Par interactions progressives avec les plantes, les champignons mycorhiziens ont en effet probablement déployé ces nouvelles protéines de communication pour contrôler l'hôte. En atténuant les réactions immunitaires de la plante, elles empêcheraient le rejet du champignon. Et ce phénomène a été étudié chez toutes les espèces mycorhiziennes séquencées. L'étude a révélé qu'entre 8 et 28 % des gènes qui s'expriment lors de la symbiose mycorhizienne sont spécifiques à une seule espèce et codent ces protéines. Selon Francis Martin, chaque espèce fongique aurait ainsi inventé un « trousseau de clés » qui lui est propre lors de sa convergence évolutive, et dont elle a absolument besoin pour communiquer avec l'arbre.
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Espèces concernées
Annegret Kohler, également de l'Inra de Nancy et coauteure de cette étude, souligne : « Ces protéines effectrices sont vraiment surprenantes. Elles sont utilisées par les champignons pathogènes pour attaquer les plantes. Ce qui sous-entend donc que les champignons mycorhiziens, loin d'être un système pacifique d'échange gagnant-gagnant, semblent utiliser les mêmes armes pour coloniser leur hôte. »
« Ces différentes conclusions apportent des réponses à des questions fondamentales de l'évolution, estime Jacqui Shykoff. Ces questions ne sont pas nouvelles, mais jusqu'à présent, la science n'avait pas les moyens techniques d'y répondre. »
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Bérénice Robert
L'intégralité de l'article est à retrouver ici.
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