La découverte dans une grotte d’Israël d’un fragment de mâchoire d'Homo sapiens antérieur aux plus vieux fossiles néandertaliens au Levant prouve que les hommes modernes sont sortis d'Afrique il y a sans doute bien plus de 200 000 ans.
François Savatier
Depuis des années, certains paléoanthropologues y
songeaient. La partie supérieure du carré 9 de l’unité stratigraphique 6
de la grotte de Misliya sur le Mont Carmel en Israël vient de leur en
apporter la preuve. Désormais, on ne peut plus en douter: Homo sapiens
a quitté l’Afrique plus tôt que ce que l’on croyait. Il y a bien plus
de 200 000 ans sans doute ! Cette nouvelle, que de petits indices
annonçaient depuis longtemps, change radicalement le consensus entre
préhistoriens : encore récemment, Homo sapiens était censé
avoir quitté l'Afrique pour le Levant une première fois il y a quelque
100 000 ans, y être retourné sous la pression des Néandertaliens (alors
présents au Proche-Orient), puis être revenu en Eurasie il y a de 80 000
à 60 000 ans pour bousculer son cousin néandertalien et conquérir la
Terre de façon explosive.
La preuve de la présence d'H. sapiens au Levant il y a bien plus de 100 000 ans est Misliya-1, un très ancien demi maxillaire sapiens mis au jour et étudié par une équipe internationale dirigée par Mima Weinstein-Evron, de l’université d’Haïfa, et Israel Hershkovitz, de l’université de Tel Aviv (image ci-dessus). Pour le dater, trois laboratoires ont appliqué différentes techniques : la datation par résonance de spin électronique fossile (une méthode qui révèle le temps qu’un élément minéral a passé enfoui), la datation par thermoluminescence et la radiochronologie (datation par l’uranium-thorium). Les chercheurs ont utilisé ces techniques sur une série de neuf silex trouvés en proche association avec le fossile, à la croûte le recouvrant, à l’émail dentaire et, finalement, pour exclure l’influence d’une intrusion de sédiments récents, à la dentine (la partie interne de la dent). À l’exception inexpliquée d’une date sur la dizaine obtenue, les estimations amènent à placer l’âge de Misliya-1 entre il y a 177 000 et 194 000 ans, avec une probabilité de 97,9%.
Pour prouver qu‘il s’agit bien d’un maxillaire sapiens, les chercheurs se sont livrés à une étude morphométrique, c’est-à-dire qu’ils ont soigneusement mesuré tous les détails visibles de la forme du maxillaire et des dents afin de les comparer à ceux des formes archaïques d'H. sapiens et d'autres espèces. Il en ressort qu’il s’agit d’un maxillaire sapiens «sans aucun trait squelettique ou dentaire néandertalien».
Un point essentiel est le fait que toutes les unités stratigraphiques de la grotte de Misliya, y compris l’unité 6, sont mêlés d’artefacts relevant de ce que les chercheurs nomment le Moustérien levantin précoce, une industrie lithique caractérisée par un débitage d’éclats dit Levallois (notamment des éclats triangulaires pouvant servir de pointe). Or ce type de moustérien est traditionnellement associé en Eurasie aux Néandertaliens, dont il constitue un marqueur. Pour autant, on sait depuis longtemps, qu'au Proche-Orient, il est associé sur certains sites à des fossiles néandertaliens et sur d'autres – les sites de Qafzeh et de Shkul – à des fossiles sapiens. En outre, il se rencontre aussi dans toute l’Afrique du Nord, notamment à Jebel Ihroud au Maroc, où a été récemment identifié le plus ancien H. sapiens archaïque connu (300 000 ans), mais aussi en Afrique de l’est à Kulkuletti en Éthiopie (279 000 ans) à Kapthurin au Kenya (285 000 ans) et même plus anciennement encore – il y a quelque 500 000 ans avant l’apparition d’H. sapiens – à Kathu Pan en Afrique du Sud. Jusqu'à présent on continuait à lier le moustérien avant tout à H. neanderthalensis, mais la date fournie par Misliya 1 suggère que l’apparition du débitage Levallois en Eurasie pourrait être, comme l’écrivent les chercheurs, «associée avec l’apparition des H. sapiens» au Levant. Cette évolution de notre point de vue sur le Moustérien est une nouvelle de grande importance en paléoanthropologie.
L’hypothèse d’une sortie d’Afrique des H. sapiens il y a plus de 200 000 ans, ou plus, apparaît dès lors d’autant plus probable qu’elle rejoint les conclusions d'une autre étude. Une équipe constituée autour de Cosimo Posth, à l’Institut Max-Planck pour l’histoire humaine de Tübingen, en Allemagne, a analysé des gènes mitochondriaux contenus dans le tibia néandertalien HST trouvé dans la grotte de Hohenstein-Stadel, dans le Jura souabe. Comme tous ceux des Néandertaliens, ces gènes sont plus proches de ceux de son cousin sapiens que de ceux de leur ancêtre commun (Homo heidelbergensis). Dès lors, des calculs d’horloge génétique suggèrent que la diversité des gènes mitochondriaux néandertaliens constatée grâce à HST ne peut s’expliquer que si une migration d’H. sapiens archaïques est venu d’Afrique apporter au Néandertaliens leurs gènes mitochondriaux il y a entre 470 000 et 220 000 ans.
La sortie d’Afrique précoce des H. sapiens archaïques suggéré par Misliya 1 et HST a aussi l’avantage de régler nombre de problèmes qu'il était difficile de traiter si H. sapiens n'avait commencé son expansion en Eurasie qu'il y a 80 000 ans au plus tôt : la découverte en 2010 dans une grotte du sud de la Chine d’un bout de mandibule de plus de 100 000 ans et d’autre indices suggèrent une arrivée d’H. sapiens en Chine bien plus tôt que ce que l’on pensait ; la réalisation récente que l’irruption d’H. sapiens en Australie il y a quelque 65 000 ans et donc bien avant en Asie du Sud-Est ; la constatation du fait que les néandertaliens de l'Altaï sibérien étaient déjà métissés avec des H. sapiens il y a plus de 100 000 ans…
Et puis, il y a l’existence au Levant d’une culture matérielle (silex taillés, artefacts divers, etc.) qui semble intermédiaire entre l’Acheuléen (l’industrie lithique caractéristique du Paléolithique inférieur d’Afrique ou d’ailleurs) et l’industrie moustérienne : la culture acheuléo-yabroudienne, qui prospéra il y a entre entre 350 000 et 200 000 ans. Or un crâne partiel fossile, celui de l’«Homme de Galilée» trouvé sur le site de Mugharet el-Zuttiyeh est associé à cette culture. Découvert dans les années 1920, le crâne de l’Homme de Galilée est d’abord passé pour celui d’un Néandertalien. Toutefois, dans les années 1980, après avoir réétudié tous les fossiles du Levant, le paléoanthropologue français Bernard Vandermeersch avait attiré l’attention sur l'impression qu’il partageait avec nombre de collègues : «le crâne de Zuttiyeh se rapproche, en fait, de la morphologie sapiens, mais avec la persistance de traits primitifs – l’importance du relief sus-orbitaire par exemple – qui permet de le placer parmi les Homo sapiens archaïques.» À partir de cela et d’autres observations, notamment le fait qu’aucun fossile néandertalien d’âge comparable à celui de l’homme de Galilée n’est connu au Levant, il proposait qu’une très ancienne population d’H. sapiens archaïque était déjà établie au Proche-Orient, bien avant que le fort réchauffement climatique du Stade isotopique marin 5 (130 000 à 71 000 ans avant le présent) n’ait amené au Proche-Orient une population néandertalienne allochtone, qui s’est ensuite mélangée avec les habitants sapiens du Proche-Orient, initiant le métissage de H. sapiens et de H. neanderthalensis. Parce que d’origine francophone, cette théorie avait été peu considérée par les confrères anglophones de Bernard Vandermeersch. Misliya 1 la confirme.http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actu-i-homo-sapiens-i-a-precede-de-tres-loin-i-homo-neanderthalensis-i-au-levant-39142.php
La preuve de la présence d'H. sapiens au Levant il y a bien plus de 100 000 ans est Misliya-1, un très ancien demi maxillaire sapiens mis au jour et étudié par une équipe internationale dirigée par Mima Weinstein-Evron, de l’université d’Haïfa, et Israel Hershkovitz, de l’université de Tel Aviv (image ci-dessus). Pour le dater, trois laboratoires ont appliqué différentes techniques : la datation par résonance de spin électronique fossile (une méthode qui révèle le temps qu’un élément minéral a passé enfoui), la datation par thermoluminescence et la radiochronologie (datation par l’uranium-thorium). Les chercheurs ont utilisé ces techniques sur une série de neuf silex trouvés en proche association avec le fossile, à la croûte le recouvrant, à l’émail dentaire et, finalement, pour exclure l’influence d’une intrusion de sédiments récents, à la dentine (la partie interne de la dent). À l’exception inexpliquée d’une date sur la dizaine obtenue, les estimations amènent à placer l’âge de Misliya-1 entre il y a 177 000 et 194 000 ans, avec une probabilité de 97,9%.
Pour prouver qu‘il s’agit bien d’un maxillaire sapiens, les chercheurs se sont livrés à une étude morphométrique, c’est-à-dire qu’ils ont soigneusement mesuré tous les détails visibles de la forme du maxillaire et des dents afin de les comparer à ceux des formes archaïques d'H. sapiens et d'autres espèces. Il en ressort qu’il s’agit d’un maxillaire sapiens «sans aucun trait squelettique ou dentaire néandertalien».
Un point essentiel est le fait que toutes les unités stratigraphiques de la grotte de Misliya, y compris l’unité 6, sont mêlés d’artefacts relevant de ce que les chercheurs nomment le Moustérien levantin précoce, une industrie lithique caractérisée par un débitage d’éclats dit Levallois (notamment des éclats triangulaires pouvant servir de pointe). Or ce type de moustérien est traditionnellement associé en Eurasie aux Néandertaliens, dont il constitue un marqueur. Pour autant, on sait depuis longtemps, qu'au Proche-Orient, il est associé sur certains sites à des fossiles néandertaliens et sur d'autres – les sites de Qafzeh et de Shkul – à des fossiles sapiens. En outre, il se rencontre aussi dans toute l’Afrique du Nord, notamment à Jebel Ihroud au Maroc, où a été récemment identifié le plus ancien H. sapiens archaïque connu (300 000 ans), mais aussi en Afrique de l’est à Kulkuletti en Éthiopie (279 000 ans) à Kapthurin au Kenya (285 000 ans) et même plus anciennement encore – il y a quelque 500 000 ans avant l’apparition d’H. sapiens – à Kathu Pan en Afrique du Sud. Jusqu'à présent on continuait à lier le moustérien avant tout à H. neanderthalensis, mais la date fournie par Misliya 1 suggère que l’apparition du débitage Levallois en Eurasie pourrait être, comme l’écrivent les chercheurs, «associée avec l’apparition des H. sapiens» au Levant. Cette évolution de notre point de vue sur le Moustérien est une nouvelle de grande importance en paléoanthropologie.
L’hypothèse d’une sortie d’Afrique des H. sapiens il y a plus de 200 000 ans, ou plus, apparaît dès lors d’autant plus probable qu’elle rejoint les conclusions d'une autre étude. Une équipe constituée autour de Cosimo Posth, à l’Institut Max-Planck pour l’histoire humaine de Tübingen, en Allemagne, a analysé des gènes mitochondriaux contenus dans le tibia néandertalien HST trouvé dans la grotte de Hohenstein-Stadel, dans le Jura souabe. Comme tous ceux des Néandertaliens, ces gènes sont plus proches de ceux de son cousin sapiens que de ceux de leur ancêtre commun (Homo heidelbergensis). Dès lors, des calculs d’horloge génétique suggèrent que la diversité des gènes mitochondriaux néandertaliens constatée grâce à HST ne peut s’expliquer que si une migration d’H. sapiens archaïques est venu d’Afrique apporter au Néandertaliens leurs gènes mitochondriaux il y a entre 470 000 et 220 000 ans.
La sortie d’Afrique précoce des H. sapiens archaïques suggéré par Misliya 1 et HST a aussi l’avantage de régler nombre de problèmes qu'il était difficile de traiter si H. sapiens n'avait commencé son expansion en Eurasie qu'il y a 80 000 ans au plus tôt : la découverte en 2010 dans une grotte du sud de la Chine d’un bout de mandibule de plus de 100 000 ans et d’autre indices suggèrent une arrivée d’H. sapiens en Chine bien plus tôt que ce que l’on pensait ; la réalisation récente que l’irruption d’H. sapiens en Australie il y a quelque 65 000 ans et donc bien avant en Asie du Sud-Est ; la constatation du fait que les néandertaliens de l'Altaï sibérien étaient déjà métissés avec des H. sapiens il y a plus de 100 000 ans…
Et puis, il y a l’existence au Levant d’une culture matérielle (silex taillés, artefacts divers, etc.) qui semble intermédiaire entre l’Acheuléen (l’industrie lithique caractéristique du Paléolithique inférieur d’Afrique ou d’ailleurs) et l’industrie moustérienne : la culture acheuléo-yabroudienne, qui prospéra il y a entre entre 350 000 et 200 000 ans. Or un crâne partiel fossile, celui de l’«Homme de Galilée» trouvé sur le site de Mugharet el-Zuttiyeh est associé à cette culture. Découvert dans les années 1920, le crâne de l’Homme de Galilée est d’abord passé pour celui d’un Néandertalien. Toutefois, dans les années 1980, après avoir réétudié tous les fossiles du Levant, le paléoanthropologue français Bernard Vandermeersch avait attiré l’attention sur l'impression qu’il partageait avec nombre de collègues : «le crâne de Zuttiyeh se rapproche, en fait, de la morphologie sapiens, mais avec la persistance de traits primitifs – l’importance du relief sus-orbitaire par exemple – qui permet de le placer parmi les Homo sapiens archaïques.» À partir de cela et d’autres observations, notamment le fait qu’aucun fossile néandertalien d’âge comparable à celui de l’homme de Galilée n’est connu au Levant, il proposait qu’une très ancienne population d’H. sapiens archaïque était déjà établie au Proche-Orient, bien avant que le fort réchauffement climatique du Stade isotopique marin 5 (130 000 à 71 000 ans avant le présent) n’ait amené au Proche-Orient une population néandertalienne allochtone, qui s’est ensuite mélangée avec les habitants sapiens du Proche-Orient, initiant le métissage de H. sapiens et de H. neanderthalensis. Parce que d’origine francophone, cette théorie avait été peu considérée par les confrères anglophones de Bernard Vandermeersch. Misliya 1 la confirme.http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actu-i-homo-sapiens-i-a-precede-de-tres-loin-i-homo-neanderthalensis-i-au-levant-39142.php
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