La modélisation de la façon dont les grains minéraux constituant la croûte terrestre se déforment lorsqu'ils subissent des pressions excessives fournit un scénario pour le démarrage du moteur tectonique sur Terre.
François Savatier
L'évolution d'une zone de basse pression dans la lithosphère
primitive de l'Archéen (il y a 3,8 à 2,5 milliards d'années), telle que
l'ont modélisée les chercheurs. Le temps s'écoule de gauche à droite. La
structuration d'une zone de faiblesse et de subduction (première ligne) se note aux évolutions de la vitesse de surface de la matière (ligne du bas), de sa divergence (deuxième ligne) et de la vorticité, c'est-à-dire de la tendance à tourner autour d'un axe vertical (troisième ligne). En un milliard d'années environ, une protoplaque tectonique est entièrement définie par des bordures et commence à se déplacer.
Yanick Ricard/Université de Lyon
Les plaques tectoniques se déplacent à la surface de la planète sous l’effet des mouvements de convection qui brassent le manteau terrestre, de 2 900 kilomètres d’épaisseur. Les plaques sont renouvelées en continu à partir des dorsales océaniques, ces longues chaînes de volcans sous-marins dont l’activité produit de la croûte océanique neuve. Lorsque deux plaques entrent en collision, l’une d’elles glisse sous l’autre (subduction) et s’enfonce dans le manteau terrestre, dans lequel elle finit par être amalgamée. Depuis la naissance de la Terre, plusieurs cycles tectoniques de 400 à 600 millions d’années se sont succédé, pendant lesquels une série de continents sont nés, se sont assemblés, se sont brisés et ont disparu. Toutefois, le moteur à l'origine de ces cycles semble avoir mis au moins un milliard d'années à atteindre un fonctionnement régulier. C'est son démarrage que D. Bercovici et Y. Ricard ont modélisé.
Leur idée ? La déformation des roches de la lithosphère sous l'effet d'une pression importante entraîne une fragilité qui amplifie la déformation, ce qui conduit à la formation d'une ligne de faiblesse, qui deviendra la limite d'une plaque. Les courants descendants créés par la convection du manteau induisent en effet des dépressions sous la lithosphère, qui se traduisent au niveau microscopique par la dislocation des roches.
Or ce qui arrive à des roches soumises à des contraintes trop intenses est illustré par la structure des mylonites. Les grains minéraux de ces roches métamorphiques (transformées au cours de leur séjour sous terre), sont de tailles réduites et dotés de nombreuses indentations microscopiques. Les géophysiciens s’accordent sur le fait que ces indentations sont produites par l’accumulation et le déplacement de dislocations (des défauts dans la structure cristalline) et d’écoulements plastiques (de brusques réarrangements atomiques). Ces déformations, une fois accumulées, fragilisent la roche et accroissent sa tendance à se déformer et se fragmenter en réponse aux contraintes de pression.
Les chercheurs ont modélisé mathématiquement ce phénomène. Pour cela, ils ont d'abord supposé une lithosphère composée de deux tiers de grains d’olivine et d’un tiers de grains de pyroxène, comme dans la péridotite, la roche la plus répandue dans le manteau terrestre. Pour décrire l’évolution de la déformation de la roche dans une zone où la pression varie, ils ont traduit le comportement de la taille des grains des minéraux sous la contrainte, c'est-à-dire de leur déformation par propagation de dislocations ou par réarrangements atomiques. Si les grains diminuent en taille et deviennent plus facilement déformables en réaction aux contraintes, ils peuvent aussi croître à nouveau quand ces contraintes disparaissent, dans une sorte de « cicatrisation » de la lithosphère.
Il ressort de ce modèle que la formation, puis le déplacement de plaques – bref la tectonique des plaques – se met en place si la convection mantellique est assez stable et la cicatrisation lithosphérique assez lente pour que les dislocations des roches s’accumulent jusqu’à former des bords de plaques. L'application du modèle à la Terre suggère que pendant le premier milliard et demi d’années d’existence de notre planète, un tel phénomène a dessiné les premières « écailles » terrestres, avant que le recouvrement soit complet et que le fonctionnement de la tectonique ne se complique.
Pour appliquer leur modèle à la Terre, les chercheurs ont pris en compte la façon dont la température croît avec la profondeur dans la lithosphère. La transposition de ce calcul au cas de Vénus dans sa jeunesse – avec un gradient de température différent, la température de surface y étant en particulier de 500 °C –, conduit à la conclusion que ce même mécanisme n’enclenche pas la formation de protoplaques lithosphériques. C’est heureux, car on sait que Vénus ne présente pas de tectonique des plaques !
Quant à la tectonique terrestre, même si ses effets sont souvent terribles, elle est aussi, pense-t-on, l’un des ingrédients à l’origine de la vie. Les premiers habitats seraient apparus sur les dorsales océaniques, grâce à l'apport de minéraux et de chaleur associés au volcanisme. Et depuis, la tectonique, en remodelant plusieurs fois la surface de la Terre, a participé au cycle du dioxyde de carbone, principal gaz à effet de serre. En effet, le dioxyde de carbone présent dans l'atmosphère, libéré par les volcans, est piégé dans les plaques océaniques sous forme par exemple de dépôts calcaires et ensuite en partie réenfoui dans le manteau par la subduction. Bref, la tectonique a contribué à créer les conditions de la vie.
http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actu-comment-le-moteur-tectonique-a-demarre-32836.php
L'auteur
Francois Savatier est journaliste à Pour la Science.
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Pour en savoir plus
D. Bercovici et Y. Ricard, Plate tectonics, damage and inheritance, Nature, en ligne le 6 avril 2014.
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