Paris, 21 novembre 2014
Des virus pirates pris à leur propre piège ?
Pour infecter une cellule hôte et se multiplier, certains virus comme celui de l'hépatite C infiltrent les ribosomes, véritables usines d'assemblage des protéines présentes dans chacune de nos cellules. Les protéines virales sont ainsi produites au détriment des protéines cellulaires. Des scientifiques strasbourgeois ont démontré que l'un des 80 composants du ribosome est indispensable à l'infection par certains virus sans être essentiel au fonctionnement normal des cellules. Cette découverte, qui pourrait déboucher sur le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques, a été réalisée par des chercheurs du laboratoire Réponse immunitaire et développement chez les insectes (CNRS) et de l'Institut de recherche sur les maladies virales et hépatiques (Inserm/Université de Strasbourg)1, avec notamment le soutien de l'ANRS. Elle fait l'objet d'une publication dans la revue Cell le 20 novembre 2014.
© Jean-Luc Imler
Préparation de virus DCV (Drosophila C virus), utilisés dans l'étude.
Cette image est disponible à la photothèque du CNRS, phototheque@cnrs.fr.http://www2.cnrs.fr/presse/communique/3817.htm
Une infection virale peut être traitée en bloquant certains constituants du virus. Cependant, ceux-ci sont bien moins nombreux que les protéines cellulaires de l'hôte avec lesquelles ils interagissent. De plus ces facteurs mutent beaucoup plus facilement et échappent ainsi aux traitements. C'est pourquoi les virologistes cherchent à mettre au point des antiviraux ciblant ces protéines (ou facteurs) cellulaires. Seul bémol, mais de taille : les facteurs ciblés par cette stratégie jouent souvent un rôle important dans la cellule, entraînant des effets secondaires.
Dans cette optique, un groupe de chercheurs strasbourgeois a identifié un constituant cellulaire prometteur, baptisé RACK1, faisant partie du ribosome, sorte d'usine cellulaire où sont assemblées les protéines. RACK1 pourrait devenir la cible de nouveaux types de traitements antiviraux puisqu'il s'est révélé nécessaire à l'infection des cellules par certains virus, mais non essentiel pour le fonctionnement normal des cellules.
Véritable chaîne de montage, le ribosome assemble les acides aminés selon un enchaînement dicté par le message génétique (contenu dans les molécules d'ARN messager). La stratégie employée par de nombreux virus pour se multiplier consiste à infiltrer le ribosome de la cellule infectée de manière à forcer la fabrication de leurs propres protéines, au détriment des protéines cellulaires. Ainsi, ils fabriquent de nouvelles particules virales, qui iront infecter d'autres cellules… Ces travaux montrent que, parmi les quelques 80 sous-unités qui composent le ribosome, RACK1 constitue une porte d'entrée pour plusieurs virus, dont celui de l'hépatite C. Plus remarquable : la plupart des ARN messagers cellulaires peuvent être traduits en protéines dans un ribosome sans RACK1, alors que cette sous-unité est indispensable à la traduction des ARN – et donc à la propagation – de certains virus.
Les chercheurs ont réalisé cette découverte en travaillant sur la mouche du vinaigre (Drosophila melanogaster). Des mouches adultes dépourvues de RACK1 survivent normalement, tout en ne pouvant plus être infectées par certains virus d'insectes. Le même constat a été fait sur des cellules humaines en culture : l'absence de RACK1 ne compromet pas leur survie ni leur multiplication, mais empêche l'infection par le virus de l'hépatite C. Et ceci pourrait être valable pour d'autres virus ayant la même stratégie de piratage des cellules2 (virus de la polio, de la fièvre aphteuse, entérovirus…).
Cette découverte ouvre donc de nouvelles perspectives thérapeutiques basées sur le blocage de ce point de connexion du virus sur le ribosome de la cellule. Le fait que ce mécanisme soit utilisé par des virus de nature très différente permet d'envisager la mise au point de traitements à large spectre d'action applicables aux infections virales des insectes, des animaux et de l'homme.
Cependant, si la protéine RACK1 est conservée chez des espèces aussi différentes que la drosophile et l'homme, elle n'est sans doute pas complètement inutile pour ces organismes. De fait, si les adultes sont viables, les larves de drosophiles et les embryons de souris dépourvus de RACK1 ne peuvent dépasser un certain stade de développement. Cela signifie que certains ARN messagers cellulaires, utilisés dans des situations particulières, ont besoin de RACK1 pour leur traduction. Décrypter les conditions dans lesquelles RACK1 est utile aux cellules est donc fondamental avant de pouvoir l'utiliser comme cible thérapeutique.
Au niveau fondamental, ces résultats montrent que la traduction des ARN en protéines est plus complexe qu'on ne le pensait. Ils ouvrent des perspectives pour comprendre « le code ribosome » (se superposant au code génétique et aux autres mécanismes de régulation de l'expression des gènes) : selon la composition et la structure du ribosome, certains ARN seraient sélectivement traduits, d'autres non. Les indices en faveur d'un tel code s'accumulent… reste à le décrypter.
Ces travaux ont notamment bénéficié du soutien de l'ANRS (France REcherche Nord&sud Sida-hiv Hépatites), de la FRM (fondation pour la recherche médicale), de la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer et de l'Institut Hospitalo-Universitaire de Strasbourg Mix-Surg.
Notes :
1 en collaboration avec les laboratoires Architecture et réactivité de l'ARN (CNRS) et Spectrométrie de masse biologique et protéomique (CNRS/ESPCI ParisTech).2 Ces virus ont évolué afin de contourner les stratégies antivirales des cellules. Leurs ARN contiennent un motif interne (appelé IRES : internal ribosome entry site) qui recrute les ribosomes.
Références :
RACK1 Controls IRES-Mediated Translation of Viruses, K. Majzoub, M. L. Hafirassou, C. Meignin, A. Goto, S. Marzi, A. Fedorova, Y. Verdier, J. Vinh, J. A. Hoffmann, F. Martin, T. F. Baumert*, C. Schuster, et J.-L. Imler. Cell, 20 novembre 2014.* co-auteur sénior.
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