Paris, 13 SEPTEMBRE 2013
http://www2.cnrs.fr/presse/communique/3221.htm
Nourris au CO2, les plus petits organismes du plancton se développent aux dépens des plus grands
Les plus petits organismes planctoniques
vont-ils déterminer le futur des océans ? Une expérience menée par le
projet européen EPOCA coordonné par Jean-Pierre Gattuso du Laboratoire
d'océanographie de Villefranche (CNRS/UPMC) a montré que le pico- et le
nanoplancton prospèrent en cas d'augmentation de la concentration en
dioxyde de carbone (CO2) dans l'eau de mer, provoquant un bouleversement
de la chaîne alimentaire. Deux processus intervenant dans la régulation
du climat sont également affectés : l'exportation de carbone vers
l'océan profond et la production de sulfure de diméthyle, un gaz qui
contrecarre l'effet de serre. Un volume spécial de la revue
Biogeosciences présente les résultats de cette étude menée en Arctique
par une équipe impliquant principalement des chercheurs de l'Institut
GEOMAR, du CNRS et de l'UPMC1, avec le soutien de l'Institut polaire français.
Depuis 1800, environ le tiers des émissions de CO
2 dues aux activités humaines ont été absorbées par les océans (ce qui équivaut chaque année à 1 tonne de CO
2
par personne). Cette absorption entraîne une acidification des océans
qui a été pendant quatre ans l'objet d'étude du projet EPOCA (European
Project on Ocean Acidification). Lancé en 2008 et coordonné par
Jean-Pierre Gattuso, chercheur CNRS au LOV, EPOCA a rassemblé plus de
160 chercheurs de 32 institutions européennes. L'une des expériences
phare d'EPOCA s'est déroulée dans l'océan Arctique en 2010 durant cinq
semaines. Pourquoi l'Arctique ? En raison de la basse température de ses
eaux, cet océan absorbe davantage de CO
2 que les autres.
L'acidification y est donc plus rapide que dans les régions tempérées et
tropicales. De plus, il était important de réaliser cette expérience in
situ afin de bien prendre en compte les liens existants entre les
organismes au niveau d'une communauté (compétition, prédation…) et de
confronter ces résultats à ceux des études menées en laboratoire.
Fin
mai 2010, l'équipe internationale chargée de cette expérience,
constituée de 35 chercheurs et pilotée par Ulf Riebesell de l'institut
allemand GEOMAR, a commencé par déployer neuf mésocosmes, sortes de
tubes à essai flottants, dans le baie du Roi au large de Ny-Ålesund, à
l'ouest du Spitzberg. Ces mésocosmes étaient formés d'immenses sacs en
plastique de 50 m
3 maintenus par des structures de 8 mètres
de haut. Ils ont permis d'emprisonner l'ensemble du plancton présent
dans le fjord. Dans sept de ces sacs, la concentration de CO
2
a été graduellement augmentée pour atteindre le niveau attendu dans 20,
40, 60, 80 et 100 ans. Les deux autres sacs, les « sacs contrôle »,
représentaient les conditions naturelles sans modification. Chaque jour,
une cinquantaine de paramètres chimiques et biologiques a été mesurée
et des échantillons ont été prélevés régulièrement pour être ensuite
analysés au laboratoire.
Principal résultat : le plancton de
petite taille, le pico- et le nanoplancton<sup>2</sup>,
croit plus vite et produit plus de carbone organique lorsque la teneur
en CO
2 est élevée. Or, si ce minuscule plancton se développe
de manière importante, il consomme les sels nutritifs (comme l'azote)
habituellement disponibles pour les espèces de plus grande taille. La
croissance de ce tout petit plancton, base de la chaîne alimentaire, se
fait donc aux dépens des diatomées, du phytoplancton de plus grande
taille qui fait partie du microplancton. Cette expérience a été trop
courte pour déterminer si ce phénomène a un impact sur la nutrition du
zooplancton, qui se nourrit de plancton d'origine végétale.
En
outre, les écosystèmes dominés par du pico- et du nanoplancton
transfèrent moins de carbone dans l'océan profond. Ce phénomène pourrait
donc réduire l'absorption de CO
2 par les océans. Un autre
processus contribuant à la régulation du climat pourrait également être
affecté : la production de sulfure de diméthyle (DMS). Émis par le
phytoplancton, ce gaz favorise la formation de nuages au-dessus des
océans. En situation de concentration en CO
2 élevée, les
chercheurs ont observé une production moindre de DMS, ce qui
entrainerait une augmentation de la quantité de rayonnement solaire
atteignant la Terre et renforcerait ainsi l'effet de serre. Outre la
chaîne alimentaire marine, l'acidification des océans affecterait ainsi
des processus jouant un rôle important dans le système climatique.
Cette
expérience a notamment bénéficié des soutiens de l'Institut polaire
français et de la base franco-allemande AWIPEV de Ny-Ålesund.
© Ray Zhang, University of Xiamen, China.
Expérience EPOCA, Ny-Ålesund, Spitzberg 2010
© Jean-Pierre Gattuso (LOV, CNRS/UPMC).
Expérience EPOCA, Ny-Ålesund, Spitzberg 2010. Mésocosme avec un glacier en arrière-plan.
© Jean-Pierre Gattuso (LOV, CNRS/UPMC).
Expérience
EPOCA, Ny-Ålesund, Spitzberg 2010. Les chercheurs s'apprêtent à
injecter de l'eau riche en CO2 dans les mésocosmes à l'aide d'une
"araignée".
© Jean-Pierre Gattuso (LOV, CNRS/UPMC).
Expérience EPOCA, Ny-Ålesund, Spitzberg 2010. Les chercheurs injectent de l'eau riche en CO2 dans un mésocosme.
Notes :
1Treize institutions européennes ont participé
à cette étude, dont en France le Laboratoire d'océanographie de
Villefranche (CNRS/UPMC) tout particulièrement, mais aussi la station
biologique de Roscoff (CNRS/UPMC).
2D'une taille inférieure à 20 µm
Références :
Arctic ocean acidification: pelagic ecosystem and
biogeochemical responses during a mesocosm study. U. Riebesell, J.-P.
Gattuso, T. F. Thingstad, and J. Middelburg.
Biogeosciences Special Issue. Volume 10, 5619-5626, 2013. doi:10.5194/bg-10-5619-2013
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