Paul Molga / Correspondant à Marseille Le 22/09 à 14:01
Plusieurs indices convergent pour remettre en question le modèle de dispersion initial d'Homo sapiens. Selon de nouveaux scénarios fondés sur l'analyse génomique des populations, il serait apparu et se serait propagé à partir de l'Eurasie.
Fragments d'os d'une adolescente métisse, issue d'une mère néandertalienne et d'un père dénisovien, qui vivait, il y a 90.000 ans, dans les montagnes de l'Altaï, en Asie centrale. - Ian.R.Cartwright 2015
La théorie « Out of Africa », selon laquelle
le berceau de l'humanité serait le résultat d'une expansion
démographique partie de l'Afrique subsaharienne, vient de subir de
nouveaux coups de boutoir. Dans un article publié cet été par la revue « Trends in Ecology & Evolution »
, un groupe de scientifiques spécialistes de l'évolution humaine, de
génétique et des climats du passé, affirme qu'au cours des 300.000
dernières années, c'est une dynamique complexe de connexions, de
séparations et de métissages entre les différentes lignées et cultures
de nos ancêtres qui aurait engendré, à la manière d'un puzzle, la
diversité de notre espèce.
De sérieux
doutes ont commencé à faire trembler les fondements de la théorie du
berceau unique l'année dernière, avec la découverte au Maroc des restes
d'un représentant d'Homo sapiens. Et pas des moindres : dans l'ancienne
mine saccagée de Djebel Irhoud, à l'ouest de Marrakech, où il a pu
dégager le site, le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin
et son équipe ont libéré les plus anciens ossements connus de notre
espèce, plus vieux de 100.000 ans que les premiers ossements reconnus
comme anatomiquement modernes découverts en Ethiopie. « La découverte marocaine repose la question de l'enracinement initial d'Homo sapiens », explique le directeur de l'équipe de recherche.
A l'époque, de nombreuses régions aujourd'hui
inhospitalières d'Afrique, telles que le Sahara, étaient humides et
vertes, traversées par des réseaux entrelacés de lacs et de rivières, et
il n'existait aucune frontière géologique sur le continent.
Inversement, certaines régions tropicales étaient arides. La nature
changeante de ces zones a conduit à des subdivisions au sein des
populations humaines, qui ont donc vraisemblablement traversé de
nombreux cycles d'isolement et de mélanges, conduisant à des adaptations
locales et à des périodes de mélanges génétiques et culturels.
Buisson généalogique
Une
autre découverte, réalisée fin août, confirme cette vision buissonnante
de l'évolution, faite d'une mosaïque foisonnante qui a vu apparaître et
disparaître des espèces jusqu'à conduire notre famille vers une lignée
unique qui a inventé le feu, le langage et la bombe atomique. Elle
provient également d'une équipe de l'Institut allemand Max-Planck, menée
par l'anthropologue évolutionniste Svante Pääbo
. Ce chercheur est connu pour avoir largement contribué au décodage du
génome des Néandertaliens et permis d'avancer qu'ils avaient mélangé
leurs gênes à nos ancêtres Sapiens.
Cette
fois, c'est à un fragment d'os d'à peine 2,5 cm que s'est intéressé le
scientifique. Découvert en 2012 parmi des milliers d'autres fragments
d'animaux dans une grotte des montagnes de l'Altaï, il appartient à une
adolescente de treize ans qui vivait là il y a 90.000 ans. Une première
analyse a été pratiquée en 2016 sur son ADN mitochondrial (correspondant
au matériel génétique transmis par la mère à son enfant). Elle a révélé
que l'os appartient à un hominidé d'origine Néandertal. En étudiant
ensuite l'ADN nucléaire (hérité pour moitié de l'ADN paternel), l'équipe
de Svante Pääbo a fait une découverte surprenante : la jeune fille
était métisse, issue de l'accouplement d'une mère néandertalienne, donc,
et d'un père dénisovien.
Cette dernière
lignée est apparue récemment dans la généalogie des hominidés et les
paléontologues ne disposent que de quelques fragments d'os et de dents
pour l'étudier. C'est insuffisant pour déterminer leur morphologie, sans
doute robuste, mais assez pour ajouter quelques pièces au puzzle
génétique des lignées humaines.
Plusieurs
études ont ainsi montré qu'une partie de l'ADN des Dénisoviens a été
sélectionnée chez certaines populations d'Homo sapiens : chez les
Inuits, il influence par exemple la gestion des tissus adipeux ; chez
les Tibétains, il améliore le transport de l'oxygène dans le sang,
expliquant leur capacité à vivre en altitude où l'air est pauvre en
oxygène. L'homme de Denisova, qui tire son nom de la grotte des
montagnes de l'Altaï où a été découverte la jeune fille, a aussi
contribué à hauteur de 4 à 6 % au génome des Papous de Nouvelle-Guinée
et des aborigènes australiens.
Croisements fréquents
Une
étude réalisée par des chercheurs américains, Sharon Browning et ses
collègues des universités de Washington et de Princeton, montre que
plusieurs interactions se sont produites avec Homo sapiens. En
inspectant le génome de plus de 5.500 individus, ils ont repéré de l'ADN
dénisovien chez les populations d'Asie de l'Est, en particulier deux
ethnies chinoises et les Japonais. Ils ont aussi remarqué que cet ADN
différait significativement de celui retrouvé dans les populations
d'Australasie. Il existait donc deux populations dénisoviennes que notre
ancêtre a rencontrées, respectivement en Asie de l'Est et en Asie du
Sud-Est.
Après la découverte l'an passé en
Grèce d'un hominidé plus ancien que Toumaï, notre ancêtre supposé
découvert au Tchad, ces nouveaux indices fournissent une preuve
supplémentaire aux tenants du modèle alternatif au berceau africain qui
situe l'origine de l'homme... en Eurasie. L'an passé, le professeur de
génétique suédois Ulfur Arnason avait jeté un pavé dans la mare en
publiant une étude dans la revue « Gene ». Ses travaux ont porté sur
l'analyse génomique des populations d'hominidés qui peuplaient la région
à cheval entre l'Europe et l'Asie, et, selon ses conclusions, les
mélanges génétiques entre Homo sapiens, Néandertal et Denisova ne
peuvent pas s'expliquer avec le peu de temps de vie en commun que
suggère le modèle « Out of Africa ».
Partant
d'Eurasie, Homo sapiens aurait colonisé l'Afrique, l'Europe et l'Asie
en plusieurs groupes distincts, expliquant les mélanges génétiques
marqués de l'homme moderne avec ses cousins d'une région à l'autre du
globe. « La dispersion d'Homo sapiens à travers l'Eurasie, il y a
60.000 ans, a sans doute permis des interactions répétées à grande
échelle avec les populations archaïques », avance Ulfur Arnason. Ce
qui pourrait expliquer, mieux que les théories actuelles, comment
Néandertaliens et Dénisoviens ont été absorbés par l'homme moderne.
Un dessin vieux de 73.000 ans
C'est
un petit éclat de pierre d'à peine 4 cm de long qui vient de
bouleverser la chronologie de l'art préhistorique. Découvert en 2001
dans la grotte de Blombos en Afrique du Sud, ce caillou supporte une
série de neuf lignes entrecroisées, dont une équipe de préhistoriens
dirigée par Christopher Henshilwood, de l'université de Bergen
(Norvège), vient de montrer l'origine incontestablement humaine.
7 millions d'années d'évolution
> 7,2 millions d'années (Ma) :
Graecopithecus freybergi. Découverte en 1944 à Pyrgos
Vassilissis au nord-ouest d'Athènes, le fragment fossile de mandibule de
ce primate a été passé l'an dernier au crible des scanners, révélant
une fusion des racines de deux prémolaires, caractère que l'on retrouve
principalement chez les hominidés. Ce caractère s'ajoute à un autre,
propre à notre lignée : la taille réduite des canines.
> 7 Ma :
Sahelanthropus tchadensis. Découvert en 2001 au Tchad, Toumaï a
remis en question la théorie de l'« East Side Story » situant
l'apparition de la lignée humaine en Afrique de l'Est, après la
formation du grand rift qui a modifié localement le climat.
> 3,2 Ma :
Australopithecus afarensis. Découverte en Ethiopie en 1974,
Lucy était dotée d'une locomotion en partie bipède. Elle a longtemps été
considérée comme la représentante d'une espèce à l'origine de la lignée
humaine avant d'être écartée des ancêtres directs du genre Homo.
> 2,5 Ma : Homo habilis. 1,30 m de haut,
30 kg. Cette créature bipède a façonné les premiers bifaces en
fracassant de simples cailloux l'un contre l'autre. Vers 1,5 Ma, ils
étaient capables de construire des abris sommaires.
> 1,8 Ma :
Homo ergaster. Notre ancêtre quitte définitivement la vie arboricole. Il découvre l'usage du feu mais ne le maîtrise pas encore.
> 1 Ma :
Homo erectus. Il se tient debout et domestique le feu.
> 300.00 ans :
Homo sapiens invente l'art et colonise la Terre.
> 250.000 ans :
Néandertal enterre ses morts et taille la pierre.
Paul Molga
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