Une chercheuse en Norvège suggère d’utiliser des femmes en état de mort cérébrale comme mères porteuses pour satisfaire les demandes de GPA. La chroniqueuse Gabrielle Cluzel y voit une nouvelle étape insidieuse pour banaliser la « GPA classique » par contraste, alors que certains la réclament déjà en France.
GPM : Gestation Post Mortem. La « maternité » - si l’on peut dire - de cette idée novatrice revient à Anna Smajdor, professeur agrégé de philosophie à l’université d’Oslo. Elle l’a exposée le 18 novembre dernier dans la revue scientifique Theoretical Medicine and Bioethics : les femmes en état de mort cérébrale pourraient se rendre utiles en faisant office de mères porteuses. La démarche s’inscrirait dans le processus habituel du don d’organes, avec consentement recueilli préalablement du vivant de la personne. L’affaire a fait grand bruit sur les réseaux sociaux. Jusqu’à la prochaine fois. Le brouhaha et l’indignation baisseront alors en intensité. L’effet de surprise sera passé et il y aura d’autres chats à fouetter.
Et puis un jour on apprendra que l’expérience a été menée, en Inde ou aux États-Unis, avec un story telling parfait, soigneusement médiatisé : L’histoire poignante d’une jeune femme altruiste ayant choisi de faire don de sa capacité à procréer, comme d’autres de leur rein, pour offrir le bébé tant attendu à une autre femme affligée d’une stérilité incurable. Car la première fois, pour ménager l’opinion et ne pas prêter le flanc à la critique, le commanditaire ne sera pas (encore) un couple gay, ni une star soucieuse de ménager son corps. Dans les reportages, la caméra fera un gros plan sur la photo de la défunte, trônant dans le salon de la petite famille dont elle aura été la bonne fée. À leur tour, les parents de feue la mère porteuse, son mari, ses enfants peut-être, témoigneront : Ce « triomphe final de la vie sur la mort » - ou toute autre formule joliment lénifiante, les éléments de langage auront été préalablement réfléchis - aura contribué à les consoler.
Tout cela est écrit. On connaît par cœur le lent processus de mithridatisation sociétale : l’idée est instillée doucement, à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu’elle soit digérée. On nous vantera les mille avantages de cette grossesse post-mortem : nombre de reproches communément faits à la GPA seront immédiatement dissipés. On ne pourra plus l’accuser de mettre en danger la mère porteuse. Puisqu’elle sera déjà morte. Aucun risque qu’une vie trop active conduise à un accouchement prématuré : station horizontale garantie, de facto, dans le contrat. Quant à la fragmentation de la maternité à laquelle force la GPA ordinaire - les gamètes de l’une, l’utérus de l’autre - afin d’éviter les refus de livraison de par la mère porteuse - on pourra s’en passer : aucune chance que la "porteuse" s’attache au bébé et veuille le garder. En revanche, notre société si prompte à convoquer les pédopsychiatres évitera de se pencher sur les conséquences pour l’enfant d’avoir grandi dans un cadavre, incapable par nature d’interaction ni d’affection.
Il est frappant de voir à quel point corps et âme sont liés : le caractère sacré de l’un disparaît (crémation, compost humain, gestation post mortem…), dans notre monde, au même rythme que l’autre. Bien sûr, le seul motif qui pourrait faire tourner court cette brillante idée serait économique : si le coût comparé avec une mère porteuse pauvre bien vivante en Inde ou en Ukraine s’avérait désavantageux. Quoi qu’il en soit, la proposition osée aura permis de déplacer la fenêtre d’Overtone : par comparaison, la GPA classique, "à l’ancienne", paraît plus humaine. L’oxymore GPA éthique aura avancé.
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