Comment certaines rivières abattent des montagnes
Une expérience en laboratoire met en lumière un mécanisme de nivellement des montagnes par les rivières, tel qu'on l'observe dans le nord du bassin du Tarim, en Chine.
François Savatier
http://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/actu-comment-certaines-rivieres-abattent-des-montagnes-37408.phpAvez vous déjà agité une corde posée à la surface du sable ? Petit à petit, ses battements aplanissent les bosses et vous obtenez une belle surface plane. Pour peu que l’on accepte de se représenter une rivière comme une corde oscillant latéralement à l’échelle des temps géologiques, c’est en quelque sorte le mécanisme qui explique le fond plat de certaines vallées sédimentaires bien plus larges que les cours d’eau qui y serpentent. Aaron Bufe, Chris Paola et Douglas Burbank de l’Université de Californie et de celle de Minneapolis viennent d'illustrer ce mécanisme dans le cas du nord du bassin du Tarim, en Chine.
Cette dépression de 400 000 kilomètres carrés située au centre de l’Asie, bordée au nord par les monts Tian, est en grande partie occupée par le désert du Taklamakan. Sur le plan tectonique, il s’agit d’un ancien microcontinent poussé sous les monts Tian par la collision de l'Inde contre l'Asie. Résultat, ces montagnes s'élèvent de 1 à 3 millimètres par an. Or le nord du bassin du Tarim est resté étonnamment plat. Pourquoi ?
Les chercheurs ont supposé que cela résulte de l’action des cours d’eau qui descendent des monts Tian. Le déplacement horizontal des rivières éroderait le paysage à un rythme compensant la surrection. En effet, lorsque le débit des rivières est assez lent, les sédiments qu'elles charrient se déposent. Dans un coude, à mesure que les sédiments s'accumulent à l'intérieur du virage, l'eau circule plus vite à l'extérieur du virage et érode la paroi. Résultat, la rivière se déplace vers le creux du virage. Or les roches situées dans le bas des monts Tian, constituées de sable ou d'une siltite peu consolidée (un mélange de sable et de limon intermédiaire entre grès et schiste), sont justement susceptibles de se déliter assez facilement.
Pour tester leur idée, Aaron Bufe, Chris Paola et Douglas Burbank ont reproduit le terrain sur une table expérimentale. Pour imiter la surrection, une feuille métallique souple pouvait être surélevée en travers de la table par palliers sucessifs. Elle engendrait ainsi des plissements dans une couche de sable imitant la roche tendre du piémont des monts Tian. Un flux d’eau mêlé de sédiments reproduisait le passage d’un cours d’eau. Durant plusieurs expériences successives durant chacune jusqu’à 100 heures, les chercheurs ont testé différentes vitesse de surrection (deux ordres de grandeurs), de flux sédimentaires (variant d'un facteur 7) et de surface fluviale active (multiplié par un facteur 4). Régulièrement, le flux était arrêté et le « terrain » obtenu, photographié.
Les chercheurs ont ainsi pu simuler à petite échelle les conditions qui ont régné dans le nord du bassin du Tarim pendant la déglaciation, il y a environ 18 000 ans. L’observation la plus importante qui en ressort est que le nivellement couvre une surface d'autant plus grande que la surrection est lente et les cours d’eau larges, car ceux-ci migrent alors plus vite latéralement. Les reliefs en grande partie érodés et remplacés par des zones plates parcourues par des rivières évoquent ceux que l'on observe au pied des monts Tian.
Toutefois, sur le terrain, on observe que des zones érodées autrefois nivelées par un cours d’eau ont été surélevées par la surrection, et sont aujourd’hui incisées de canyon de 20 à 200 mètres de profondeur. Pendant la déglaciation, l'important débit de l'eau aurait ainsi entrainé le nivellement du piémont des monts Tian, mais depuis, la baisse du débit des rivières aurais permis à la surrection de reprendre le dessus.
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