La découverte qui bouleverse l’histoire d’« Homo sapiens »
Des
restes, trouvés au Maroc, de cinq individus datant d’environ 315 000
ans pourraient repousser de 100 000 ans l’âge de notre espèce, et
plaideraient, selon leurs découvreurs, pour son origine
« panafricaine ».
LE MONDE
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Par Hervé Morin
Le plus ancien représentant connu de notre espèce, Homo sapiens, vivait il y a environ 315 000 ans au Maroc. La découverte, due à une équipe internationale dirigée par Jean-Jacques Hublin (Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionniste de Leipzig et Collège de France), est exceptionnelle. Elle déplace nos origines vers le nord-ouest du continent africain, alors que les fossiles les plus anciens trouvés jusqu’alors provenaient d’Afrique du Sud et de l’Est. Et elle les fait considérablement reculer dans le temps, puisque les premiers ossements humains jusqu’alors unanimement reconnus comme anatomiquement modernes, découverts en Ethiopie, avaient moins de 200 000 ans.
Le site marocain de Djebel Irhoud, où les fossiles ont été trouvés, marque un nouveau jalon dans l’histoire humaine la plus récente, à une époque où plusieurs espèces apparentées coexistent sur la planète – Néandertaliens en Europe, Dénisoviens et erectus en Asie, Florès en Indonésie… De ce buissonnement du genre Homo ne subsiste aujourd’hui qu’une seule espèce, la nôtre, Homo sapiens, et la découverte marocaine repose la question de son enracinement initial.
Deux cartes projetées au Collège de France résument à elles seules les incertitudes qui subsistent sur cette question. La première montre une Afrique quasiment vierge de découvertes paléoanthropologiques : des pans entiers du continent n’ont pas été explorés, et il serait présomptueux de penser qu’aucun autre fossile d’Homo sapiens ancien ne pourrait s’y trouver. La seconde carte montre cette même région du globe il y a 300 000 ans. Elle est encore plus spectaculaire : à l’époque, l’Afrique est intégralement verte, le Sahara est absent, il n’existe nulle frontière géologique du nord au sud et de l’est à l’ouest.
Une idée fixe
La première rencontre de M. Hublin avec Irhoud date du début des années 1980, lorsque le professeur Jean Piveteau, figure de la paléoanthropologie, le croise au sortir de son bureau dans les couloirs de l’université Paris VI, et lui confie une petite mandibule à étudier, « Irhoud 3 ». Premier article publié en 1981. Puis il part sur d’autres terrains, en Europe et ailleurs, en quête de Néandertaliens, mais reste « obsédé » par les questions irrésolues du Djebel Irhoud, « saccagé par l’exploitation minière ». Pourquoi cette idée fixe pour cette extrémité du Maghreb, alors que la grande majorité des fouilles internationales se trouvent aux antipodes du continent ? « Peut-être parce que je suis né en Afrique du Nord, que j’ai dû quitter dans des conditions un peu tragiques, et que j’y retrouve des odeurs, des ambiances, des lumières de mon enfance », raconte-t-il. « Chercher plus à l’ouest, c’est un peu s’inscrire dans une continuité de l’Empire », note Yves Coppens, qui a fouillé au Tchad.La chance est au rendez-vous : trois mètres d’épaisseur de dépôts anciens ont été préservés, au sein desquels 16 ossements humains supplémentaires seront exhumés année après année. Au total, cinq individus, dont un ado et un enfant de 7 à 8 ans. Mais on trouve aussi de nombreux éclats de silex brûlés, ce qui permet d’établir des datations par thermoluminescence. Une autre méthode – la résonance de spin électronique – a pointé la même période.
« C’est une très belle découverte, qui semble confirmer un foyer africain pour l’origine humaine, commente Yves Coppens. Cela invite à repenser de nombreuses fouilles sous un nouveau jour. » La découverte, en 1932, d’un crâne fragmentaire à Florisbad, en Afrique du Sud, daté il y a vingt ans à 260 000 ans, prend ainsi un nouveau relief. James Brink, responsable du site de Florisbad, n’est pas surpris de la découverte marocaine : « On trouve aussi des pierres taillées de type Levallois datant de près de 500 000 ans à Kathu Pan, en Afrique du Sud, et au Kenya. Je pense qu’on peut associer ces outils aux premiers Homo sapiens, donc il est probable que les premiers représentants de notre espèce avaient une distribution panafricaine, et que celle-ci est intervenue il y a moins de 500 000 ans. »
Une datation réfutée par certains
Tout le monde n’est cependant pas convaincu, comme Jean-Jacques Jaeger, professeur émérite à l’université de Poitiers, qui a travaillé sur des fossiles animaux du Djebel Irhoud pour sa thèse, soutenue en 1975. « La faune de rongeurs d’Irhoud que j’ai pu étudier correspond à une date plus récente que 125 000 ans. Je réfute donc la datation obtenue par les techniques utilisées », dit le chercheur, qui n’est pas non plus convaincu par l’hypothèse panafricaine. Jean-Jacques Hublin invoque des études sur les rongeurs plus récentes, qui avaient déjà vieilli le site.Dans un article de commentaire publié dans Nature, Chris Stringer et Julia Galway-Witham, du Muséum national d’histoire naturelle de Londres, sont eux d’accord avec l’équipe de Jean-Jacques Hublin : « Ces spécimens constituent probablement des représentants précoces de la lignée Homo sapiens », écrivent-ils. Mais ils se demandent si l’aspect moderne de leur visage, partagé avec le fossile de Florisbad, ne pourrait pas être hérité d’un ancêtre « non sapiens » de notre arbre de famille – plutôt que dû à une parentèle traversant l’Afrique entière.
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réponse la plus prudente : il faut accumuler plus de données. Va-t-on assister à une ruée vers l’os au Maroc ? « Nos collègues marocains sont sollicités par des équipes anglo-saxonnes », note Jean-Jacques Hublin, qui s’amuse de cet intérêt nouveau après une longue traversée du désert « pour des raisons historiques et linguistiques circonstancielles ». Le Djebel Irhoud n’a sans doute pas dit son dernier mot. « Après une interruption pour publier ces résultats, indique Abdelouahed Ben-Ncer, on espère – inch’allah – reprendre rapidement la campagne de fouilles ! »En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/paleontologie/article/2017/06/07/la-decouverte-qui-bouleverse-l-histoire-d-homo-sapiens_5140236_1650762.html#0Rg7eQmDd18rPs5j.99http://www.lemonde.fr/paleontologie/article/2017/06/07/la-decouverte-qui-bouleverse-l-histoire-d-homo-sapiens_5140236_1650762.html
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