dimanche 15 mars 2020

Souvent bénins, parfois mortels : comment fonctionnent les coronavirus ?

(...). Pourquoi certains virus de cette famille provoquent-ils de simples rhumes et d’autres des pneumonies sévères ? Pourquoi passent-ils si facilement de l’animal à l’homme ? Et comment les contrer ?


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L’Organisation mondiale de la santé a déclaré l’épidémie du nouveau coronavirus qui frappe la Chine « urgence de santé publique internationale ». Le virus qui en est responsable, 2019-nCoV – littéralement « nouveau coronavirus découvert en 2019 » –, appartient à une famille jusqu’ici peu connue du grand public. Pourtant, la plupart des gens ont déjà croisé des formes inoffensives de coronavirus : quatre souches sont à l’origine d’environ un cinquième des cas de rhume dans le monde. D’autres types de coronavirus provoquent des maladies endémiques dans certaines populations animales. Mais jusqu’au début du siècle, toutes les souches humaines connues provoquaient des maladies si bénignes que la recherche sur les coronavirus était en sommeil.
Tout a changé en 2003, lorsque l’agent pathogène à l’origine de l’épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) en Chine a été identifié comme étant un coronavirus. Le SRAS a touché plus de 8 000 personnes et fait près 800 morts, soit un taux de mortalité proche de 10 %. « Tous les spécialistes ont été choqués », explique la microbiologiste Susan Weiss, de l’Université de Pennsylvanie. « On a alors seulement commencé à se soucier de ce groupe de virus. ». L’épidémie de SRAS a commencé lorsqu’un coronavirus est passé des animaux – très probablement des civettes – aux humains, provoquant ce qu’on appelle une zoonose. La propension des coronavirus à de tels sauts de l’animal à l’homme a été illustrée en 2012, lorsqu’un autre coronavirus est passé des chameaux aux humains en Arabie Saoudite, provoquant l’épidémie du syndrome respiratoire du Moyen-Orient ou MERS (Middle East respiratory syndrome). Le MERs-CoV a tué 449 personnes à ce jour sur 1 219 personnes infectées, ce qui représente un taux de mortalité d’environ 35 %.
Le SRAS, le MERS et le nouveau coronavirus proviennent presque certainement tous de chauves-souris. L’analyse la plus récente du génome de 2019-nCoV a révélé qu’il partage 96 % de son ARN avec un coronavirus précédemment identifié chez une espèce de chauve-souris présente spécifiquement en Chine. « Ces virus traînent depuis longtemps dans les populations de chauves-souris sans rendre les animaux malades », explique le microbiologiste Stanley Perlman, de l’Université de l’Iowa. Mais aucune chauve-souris n’a été vendue au marché aux animaux de Wuhan, en Chine, où l’épidémie actuelle aurait commencé, ce qui laisse penser qu’une espèce hôte intermédiaire est probablement impliquée. Ce tableau semble être une caractéristique commune de ces épidémies de coronavirus. Le passage chez un hôte peut accroître la diversité génétique des virus en facilitant des mutations plus nombreuses ou différentes.
Mais qu’est-ce qu’un coronavirus ? Qu’est-ce qui détermine si, quand et comment il peut passer chez l’homme et dans quelle mesure il sera infectieux ? Et qu’est-ce qui fait qu’il provoquera un simple rhume ou une maladie respiratoire mortelle ? Depuis que cette famille de virus est apparue comme une grave menace pour la santé mondiale, les biologistes les ont étudié intensivement pour tenter de répondre à ces questions.

Anatomie d’un coronavirus

Les coronavirus sont des virus à ARN simple brin enveloppés, ce qui signifie que leur génome est constitué d’un brin d’ARN (plutôt que d’ADN) et que chaque particule virale est enveloppée dans une « capsule » de protéines. Les virus font tous fondamentalement la même chose : ils envahissent une cellule et détournent à leur profit certains de ses composants pour produire de nombreuses copies d’eux-mêmes, qui infectent ensuite d’autres cellules. Mais la réplication de l’ARN est en général dépourvue des mécanismes de correction d’erreurs utilisés par les cellules pour répliquer l’ADN, si bien que les virus à ARN subissent de nombreuses erreurs – des mutations – lorsqu’ils se répliquent. Les coronavirus ont les génomes les plus longs de tous les virus à ARN – de l’ordre de 30 000 bases – et plus il y a de bases à copier, plus il y a de possibilités d’erreurs. Résultat, ces virus mutent très rapidement. Certaines de ces mutations peuvent conférer de nouvelles propriétés, notamment la capacité d’infecter de nouveaux types de cellules, voire de nouvelles espèces.
Un coronavirus se compose de quatre protéines structurelles : la nucléocapside, l’enveloppe, la membrane et la protéine S. La nucléocapside forme le noyau génétique, encapsulé dans une boule formée par les protéines de l’enveloppe et de la membrane. La protéine S (pour spike, ou pic) forme des protubérances semblables à des petits clubs de golf qui dépassent de la membrane, qui ressemblent à une couronne, d’où le nom de coronavirus. Ces protubérances se lient aux récepteurs des cellules hôtes, déterminant les types de cellules, et donc la gamme d’espèces, que le virus peut infecter.
La principale différence entre les coronavirus qui provoquent un rhume et ceux qui provoquent une maladie grave est que les premiers infectent principalement les voies respiratoires supérieures (le nez et la gorge), tandis que les seconds se développent dans les voies respiratoires inférieures (les poumons) et peuvent entraîner une pneumonie. Le virus du SRAS se lie à un récepteur appelé ACE2, et le MERS se lie à un récepteur appelé DPP4 – tous deux se trouvent entre autres dans les cellules pulmonaires. Les variations dans la distribution de ces récepteurs dans les tissus et les organes peuvent expliquer les différences entre les deux maladies, comme le fait que le MERS est plus mortel que le SRAS et entraîne des symptômes gastro-intestinaux plus importants. Cependant, le MERS n’est pas très infectieux, ce qui peut également être un trait lié à son récepteur. « La DPP4 est fortement exprimée dans les bronches inférieures, donc il faut qu’un grand nombre de virus pénètrent les bronches pour provoquer une infection, car nos voies respiratoires sont très efficaces pour filtrer les agents pathogènes », explique la virologiste Christine Tait-Burkard de l’Université d’Edimbourg. « Une exposition intense et prolongée est nécessaire, c’est pourquoi ce sont des personnes qui travaillent en contact étroit avec des chameaux qui tombent malades ».
Inversement, comme les agents pathogènes peuvent pénétrer – et sortir – plus facilement des voies aériennes supérieures, les virus qui ciblent ces zones sont plus infectieux. En outre, « la capacité de se reproduire à différentes températures fait une grande différence, car les voies respiratoires supérieures sont plus froides », explique Christine Tait-Burkard. « Si le virus est plus stable aux températures propres aux voies respiratoires supérieures, il n’atteint pas les voies respiratoires inférieures ». Les voies respiratoires inférieures sont également un environnement plus hostile sur le plan biochimique et immunologique, ajoute-t-elle.
L’analyse du nouveau virus 2019-nCoV suggère que, comme le SRAS, il utilise le récepteur ACE2 pour pénétrer dans les cellules. Cela serait cohérent avec le fait qu’il semble, jusqu’à présent, moins mortel que le MERS (le taux de mortalité de 2019-nCoV est estimé à environ 2 %, mais ce chiffre pourrait évoluer à mesure que l’épidémie se développe et que davantage de cas sont détectés).
Ce tableau se complique cependant, car des virus qui utilisent le même récepteur peuvent entraîner des maladies radicalement différentes. Un coronavirus humain appelé NL63 se lie au même récepteur que le SRAS mais ne provoque que des infections des voies respiratoires supérieures, alors que le SRAS infecte principalement les voies respiratoires inférieures. « Nous ne savons pas pourquoi », avoue Stanley Perlman. Une autre curiosité est que le récepteur ACE2 est répandu dans le cœur, mais le SRAS n’infecte pas les cellules cardiaques. « Cela suggère que d’autres récepteurs, ou co-récepteurs, sont également impliqués », déclare le biologiste moléculaire Burtram Fielding, de l’Université du Cap-Occidental, en Afrique du Sud. La liaison du virus à un récepteur n’est que la première étape du processus d’entrée dans la cellule. Lorsqu’un virus se lie à une cellule hôte, ils commencent à se transformer mutuellement, et d’autres protéines virales peuvent se lier à d’autres récepteurs. « Il n’y a pas que le récepteur principal qui compte pour l’efficacité de l’entrée dans la cellule », explique Burtram Fielding.

Course aux armements du système immunitaire

Une autre caractéristique importante des coronavirus est que des protéines « accessoires » semblent être impliquées dans l’évitement de la réponse immunitaire innée de l’hôte – la première ligne de défense de l’organisme. La réponse immunitaire est déclenchée lorsqu’une cellule détecte un envahisseur et libère des protéines appelées interférons, qui interfèrent avec la réplication de l’agent pathogène. Les interférons déclenchent une cascade d’activité antivirale, allant de l’arrêt de la synthèse des protéines de l’hôte à l’induction de la mort de la cellule. Malheureusement, la plupart de ces processus sont également mauvais pour l’hôte ! « Une grande part des symptômes sont en fait dus à la réaction immunitaire – l’inflammation – et aux processus destructeurs induits par les virus » explique Susan Weiss. « Cela détermine également la virulence d’un virus : quelle intensité de réponse immunitaire destructrice induit-il, par opposition à une réponse protectrice ? »
C’est aussi pour cela que les conditions médicales prévalentes sont si importantes. La plupart des personnes qui sont mortes du nouveau coronavirus jusqu’à présent « avaient des facteurs de comorbidité, comme des maladies auto-immunes ou des infections secondaires, qui peuvent devenir beaucoup plus importantes une fois que notre système immunitaire inné est occupé à combattre un virus », explique Christine Tait-Burkard. « C’est pourquoi il est important de traiter les patients pour les comorbidités et de leur administrer des antibiotiques pour empêcher les surinfections bactériennes ».
Bien sûr, la réponse immunitaire a pour but d’éliminer les envahisseurs, et les virus déploient des parades. Ce dernier trait semble être ce qui diffère le plus d’un coronavirus à l’autre. « Ces virus sont étroitement apparentés, mais ils ont des protéines accessoires différentes » explique Susan Weiss, ajoutant qu’ils « ont évolué pour stopper des aspects différents de la réponse immunitaire innée ». Selon certains chercheurs, les chauves-souris abritent des coronavirus parce qu’elles ne développeraient pas une réponse immunitaire aussi forte que celle des humains. « Beaucoup de molécules de signalisation qui alertent notre système immunitaire n’existent pas chez les chauves-souris, si bien qu’elles ne tombent pas malades », avance Christine Tait-Burkard. Plutôt que de réagir énergiquement, l’organisme des chauves-souris maintient une réponse immunitaire faible mais constante, ce qui peut contribuer à l’évolution des virus. « Les chauves-souris présentent une expression constante d’interférons. Ce processus sélectionne les virus qui échappent à cette réponse » précise la biologiste. « Les chauves-souris sont donc de très bons vecteurs de sélection pour les virus qui sont doués pour échapper au système immunitaire. »
Les protéines accessoires des virus sont cependant loin d’être totalement comprises. « On peut les supprimer de certains virus sans aucun effet sur leur capacité à se développer », dit Stanley Perlman. « On pourrait penser que si on enlève une protéine essentielle pour contrer la réponse immunitaire, celle-ci l’emportera, mais ce n’est pas nécessairement le cas. » Certains chercheurs pensent que les protéines accessoires jouent sur la mortalité des coronavirus. Des études sur le SRAS ont montré que l’élimination d’une protéine accessoire ne modifie pas sa capacité de réplication, mais que cela le rend moins pathogène. « De nombreux virus sont encore fabriqués, mais ils semblent être moins nocifs », résume Burtram Fielding.
Enfin, les coronavirus peuvent corriger les erreurs de réplication dans une certaine mesure, mais ils « négligent » certaines régions de leur génome, explique Christine Tait-Burkard. Deux régions en particulier sont particulièrement sujettes aux mutations : celles qui codent la protéine S et les protéines accessoires. « Concernant ces deux éléments, les coronavirus évoluent donc rapidement et acquièrent la capacité de se fixer sur de nouveaux récepteurs et à échapper à de nouvelles réponses immunitaires », explique la biologiste. « C’est pourquoi les coronavirus passent si facilement d’une espèce à l’autre ».

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