En
capturant des sangliers pour simuler leur domestication, une équipe
internationale a découvert qu’un os de la patte de ces porcins pouvait
changer de forme après seulement quelques années de captivité. Ce
nouveau marqueur aiderait à déterminer précisément à quelle période nos
ancêtres ont domestiqué des animaux.
Connaître
la date précise de la domestication est un défi pour les archéologues.
Les fossiles présentent certaines caractéristiques morphologiques
typiques d’animaux utilisés par l’homme. Les preuves liées à ce
« syndrome de la domestication » ont été longtemps utilisé pour situer à
quelle période nos ancêtres ont commencé à domestiquer certains
animaux. Mais les spécialistes ignorent combien de générations sont
nécessaires pour qu’elles apparaissent. Selon une équipe internationale,
l’étude du squelette permettrait de déterminer avec précision la période de domestication.
L’étude porte sur le sanglier. « C’est un des derniers mammifères dont nous avons une forme sauvage et une forme domestique à disposition, indique Thomas Cucchi, archéologue au CNRS et au Muséum national d'histoire naturelle à Paris. Il est également facile à élever. »
Après avoir capturé des jeunes sangliers, les scientifiques les ont
conduits dans une ferme expérimentale. Les marcassins ont été ensuite
répartis en deux lots équilibrés, avec le même ratio mâle/femelle. L’un a
été placé dans une très grande enceinte, l’autre dans un petit enclos,
proche de conditions de domestication. Dans les deux ans qui ont suivi,
leur croissance a été surveillée et comparée avec des populations
sauvages, ainsi qu’avec des cochons, lointains descendants domestiqués
des sangliers.
Après analyse par imagerie par résonnance magnétique, l’équipe a constaté qu’un petit os
augmentait de taille chez certains individus. Présent dans la cheville,
cet os s’appelle le calcanéum et se retrouve également dans le talon
humain. Très compact, il sert aux quadrupèdes à se propulser, et est
connu des archéologues car il se conserve très bien grâce à sa densité.
Fait surprenant, cette augmentation de taille ne touche que les
sangliers du petit enclos. Ces derniers sont également beaucoup plus
musclés que leur congénères sauvages. Les auteurs de l’article ont
d’abord avancé l’hypothèse de l’alimentation, comme Darwin en 1868. Ce
dernier avait constaté par exemple une réduction de la taille de
certains os ou des changements de pigmentations du pelage. Dans son
livre Les variations des plantes et des animaux domestiqués, le
père de la théorie de l’évolution supposait une influence
environnementale, comme un régime alimentaire plus riche ou une
sélection de la part des hommes favorisant certains caractères. L’équipe
a alors constaté un comportement particulier. « Les sangliers
domestiqués ont un comportement répétitif unique : ils sautent beaucoup
plus souvent, ce qui augmente leur masse musculaire, explique Thomas Cucchi. Après plusieurs années, leur calcanéum se déforme également. »
Cette modification plastique survient dès la première génération
domestiquée, et un tel os pourrait être retrouvé ainsi modifié par des
archéologues, précisant ainsi les dates de domestication. Les
spécialistes considèrent actuellement que les ongulés (comme les
ruminants, les équidés et les porcins) sont domestiqués depuis environ
10 000 ans en Europe. Une durée qui va peut-être évoluer grâce à cette
découverte : si un os fossilisé plus gros que la moyenne était
découvert, il pourrait correspondre à l’année précise de la
domestication. Seuls problèmes : la précision de la datation, et le fait
que l’os sera le plus ancien jusqu’à ce qu’on en trouve un autre plus
vieux. Un tel protocole pourrait également être généralisé à d’autres
espèces d’équidés, voire de mammifères. « La méthode que nous avons
mise au point permettrait de savoir depuis combien de temps d’autres
espèces comme les bovins sont domestiquées. Cela pourrait même
s’appliquer aux rennes ou aux éléphants, par exemple, ajoute Thomas Cucchi. Elle nécessite seulement du temps : plusieurs années au minimum. » Valentin Faivre
H. Harbers et al., Royal Society Open Science, 7, 192039, 2020. Credit photo : Kevinphotos/Pixabay
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