dimanche 15 mars 2020

L’os de la domestication

En capturant des sangliers pour simuler leur domestication, une équipe internationale a découvert qu’un os de la patte de ces porcins pouvait changer de forme après seulement quelques années de captivité. Ce nouveau marqueur aiderait à déterminer précisément à quelle période nos ancêtres ont domestiqué des animaux.


Connaître la date précise de la domestication est un défi pour les archéologues. Les fossiles présentent certaines caractéristiques morphologiques typiques d’animaux utilisés par l’homme. Les preuves liées à ce « syndrome de la domestication » ont été longtemps utilisé pour situer à quelle période nos ancêtres ont commencé à domestiquer certains animaux. Mais les spécialistes ignorent combien de générations sont nécessaires pour qu’elles apparaissent. Selon une équipe internationale, l’étude du squelette permettrait de déterminer avec précision la période de domestication.
L’étude porte sur le sanglier. « C’est un des derniers mammifères dont nous avons une forme sauvage et une forme domestique à disposition, indique Thomas Cucchi, archéologue au CNRS et au Muséum national d'histoire naturelle à Paris. Il est également facile à élever. » Après avoir capturé des jeunes sangliers, les scientifiques les ont conduits dans une ferme expérimentale. Les marcassins ont été ensuite répartis en deux lots équilibrés, avec le même ratio mâle/femelle. L’un a été placé dans une très grande enceinte, l’autre dans un petit enclos, proche de conditions de domestication. Dans les deux ans qui ont suivi, leur croissance a été surveillée et comparée avec des populations sauvages, ainsi qu’avec des cochons, lointains descendants domestiqués des sangliers.


L’équipe a constaté qu’un petit os de la cheville augmentait de taille chez certains individus.
© Hugo Harbers / AAPSE / CNRS-MNHN

Après analyse par imagerie par résonnance magnétique, l’équipe a constaté qu’un petit os augmentait de taille chez certains individus. Présent dans la cheville, cet os s’appelle le calcanéum et se retrouve également dans le talon humain. Très compact, il sert aux quadrupèdes à se propulser, et est connu des archéologues car il se conserve très bien grâce à sa densité. Fait surprenant, cette augmentation de taille ne touche que les sangliers du petit enclos. Ces derniers sont également beaucoup plus musclés que leur congénères sauvages. Les auteurs de l’article ont d’abord avancé l’hypothèse de l’alimentation, comme Darwin en 1868. Ce dernier avait constaté par exemple une réduction de la taille de certains os ou des changements de pigmentations du pelage. Dans son livre Les variations des plantes et des animaux domestiqués, le père de la théorie de l’évolution supposait une influence environnementale, comme un régime alimentaire plus riche ou une sélection de la part des hommes favorisant certains caractères. L’équipe a alors constaté un comportement particulier. « Les sangliers domestiqués ont un comportement répétitif unique : ils sautent beaucoup plus souvent, ce qui augmente leur masse musculaire, explique Thomas Cucchi. Après plusieurs années, leur calcanéum se déforme également. »
Cette modification plastique survient dès la première génération domestiquée, et un tel os pourrait être retrouvé ainsi modifié par des archéologues, précisant ainsi les dates de domestication. Les spécialistes considèrent actuellement que les ongulés (comme les ruminants, les équidés et les porcins) sont domestiqués depuis environ 10 000 ans en Europe. Une durée qui va peut-être évoluer grâce à cette découverte : si un os fossilisé plus gros que la moyenne était découvert, il pourrait correspondre à l’année précise de la domestication. Seuls problèmes : la précision de la datation, et le fait que l’os sera le plus ancien jusqu’à ce qu’on en trouve un autre plus vieux. Un tel protocole pourrait également être généralisé à d’autres espèces d’équidés, voire de mammifères. « La méthode que nous avons mise au point permettrait de savoir depuis combien de temps d’autres espèces comme les bovins sont domestiquées. Cela pourrait même s’appliquer aux rennes ou aux éléphants, par exemple, ajoute Thomas Cucchi. Elle nécessite seulement du temps : plusieurs années au minimum. »
Valentin Faivre
H. Harbers et al., Royal Society Open Science, 7, 192039, 2020.
Credit photo : Kevinphotos/Pixabay​

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire