samedi 25 janvier 2020

Les truffes font la loi sous les chênes


La truffe noire, bien connue des gastronomes, colonise les plantes qui poussent à l’ombre de l’arbre auquel le champignon est allié, mais cette fois-ci à son profit. Une sorte de comportement parasitaire qui vient d’être mis en évidence.

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Qu’elles soient du Périgord de ou de Bourgogne, les truffes noires prospèrent sous la terre aux pieds des chênes et des noisetiers… Ces champignons aux parfums intenses qui appartiennent à la grande famille des ascomycètes, vivent en symbiose avec les arbres. En effet, leurs filaments souterrains (les hyphes) pénètrent entre les cellules de la racine de l’arbre. Là, se noue un échange fructueux : les cellules du champignon apportent du phosphore et de l’azote aux cellules de l’arbre tandis que celles-ci fournissent du glucose. Ce sucre synthétisé par l’arbre permet au champignon de produire son appareil fructifère,  l’organe charnu et parfumé prisé par les gourmets. Mais cette symbiose baptisée « ectomycorhize » n’est pas la seule fréquentation de l’ascomycète. Son réseau de filaments, le mycélium, colonise aussi les racines des autres plantes qui germent à l’ombre de « son » chêne. Mais dans ce cas, les interactions se produisent au détriment de ces dernières.
« Depuis longtemps, on a remarqué que la présence de truffes dans le sol induit une diminution de la croissance de la végétation sous l’arbre et autour, ce qui forme une zone dite « brûlé », rappelle Marc-André Selosse, biologiste au Muséum national d’histoire naturelle, mais les raisons de cette diminution étaient mal connues » (voir l’image en tête d’article). Pour en savoir plus, deux études ont été réalisées avec le concours de plusieurs équipes françaises (MNHN ; Sorbonne université ; CNRS ;  INRA ; Universités de Montpellier, de Nancy, de Bourgogne). La première montre que les hyphes de la truffe noire (Tuber melanosporum) et de truffe de Bourgogne (Tuber aestivum) envahissent les racines des plantes du brûlé (1). « Grâce à une détection de l’ADN et une coloration par hybridation fluorescente in situ, on peut voir en microscopie que les cellules du champignon sont dans la racine de la plante en contact avec les cellules, décrit Marc-André Selosse co-signataire de ces travaux. Surtout, on constate que la colonisation est diffuse, sans hyphes en surface de la racine, à l’inverse de ce qu’on peut observer lorsqu’il y a une ectomycorhize. Il n’y a pas de dégradation des tissus racinaires de la plante. » (voir image ci-dessous).
Luzerne
Les cellules des filaments de la truffe (en jaune orangé) sont dans la racine de la plante, une luzerne, en contact avec les cellules (en gris). Vue en microscopie grâce à une coloration par hybridation fluorescente in situ.

De surcroît, les analyses génétiques ont montré que le champignon qui colonise la plante est bien celui qui est en symbiose avec l’arbre. « En outre, nous avons constaté que les cellules des hyphes expriment leurs gènes ; ce qui signifie que elles sont bien vivantes au sein des racines des plantes du brûlé » confirme le biologiste.
Dans la seconde étude, des biologistes ont mis en culture des chênes verts dans de grands pots. Plusieurs configurations ont été analysées : des chênes associés à T. melanosporum avec une plante du brûlé telle que du thym ou de l’églantier ; des chênes associés à T. melanosporum sans plante ; et des chênes non associés à T. melanosporum avec ou sans plante. Résultats : le mycélium de truffe noire est deux fois plus important dans le sol lorsqu’une plante du brûlé est présente (2). La présence de ces hyphes est associé à une réduction du développement de la plante d’environ 40 %. « Le réseau de filaments du champignon, le mycélium, détourne les ressources des plantes du brûlé, l’azote et le phosphate, pour lui-même. Ce détournement profite également au chêne puisque nous avons constaté une plus grande activité de photosynthèse » analyse Marc-André Selosse.
Ainsi, si la truffe est bien un organisme qui vit en symbiose avec certains arbres, elle n’en est pas moins capable de parasiter d’autres végétaux. « Ces résultats soulignent que dans une plantation truffière, il ne faut plus considérer la truffe uniquement à partir de son lien avec l’arbre, mais gérer l’ensemble de l’écosystème, souligne le biologiste. Et d’une manière générale, il ne faut pas considérer l’écologie des champignons que sous un angle, par exemple la mycorhize pour la truffe. En effet, il peut y avoir d’autres types d’association avec d’autres végétaux. » conclut le biologiste.
Mathias Germain
(1) L. Schneider-Maunoury et al., New Phytologist, doi : 10.1111/nph.16321, 2019.
(2) E. Taschen et al., Plant and Soil, doi : 10.1007/s11104-019-04340-2, 2019.

(© D. Mousain)
Sous ce chêne associé à des truffes, on remarque le brûlé, cette zone où il y a très peu de végétation : seuls poussent quelques cystes cotonneux (fleurs roses).