Des généticiens affirment avoir découvert le berceau de l'humanité
Dans un article publié dans la revue Nature, une équipe de généticiens affirme avoir découvert le berceau d'Homo Sapiens au
nord du Botswana. Les premiers hommes modernes y ont prospéré pendant
70 000 ans avant de partir à la conquête de la planète il y a 130 000
ans.
https://www.larecherche.fr/pal%C3%A9oanthropologie-g%C3%A9n%C3%A9tique/des-g%C3%A9n%C3%A9ticiens-affirment-avoir-d%C3%A9couvert-le-berceau-de-lhumanit%C3%A9
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"La première surprise avec cette conclusion, c’est qu’elle va totalement à rebours des travaux actuels qui, dans l’ensemble, tendent à démontrer qu’Homo sapiens n’est pas originaire d’un seul point, mais que c’est l’ensemble du continent africain qui doit être considéré comme son berceau", juge Jean-Jacques Hublin, directeur du département Évolution de l'homme de l'Institut Max-Planck d'anthropologie évolutionniste, à Leipzig (Allemagne) et professeur au Collège de France. En effet, les plus vieux fossiles d’Homo sapiens datent de plus de 300 000 ans et ont été découvert au Maroc, sur le site de Djebel Irhoud. A l’est, dans le rift africain, ce sont des outils qui laissent entendre qu’Homo sapiens était aussi présent à cet endroit sensiblement à la même période. Ce sont des échanges périodiques entre différents groupes qui auraient petit à petit permis de façonner notre espèce. "Il est vraiment dommage que les auteurs n’aient pas fait appel à un archéologue pour confronter leur modèle, déplore quant à lui Francesco d’Errico, directeur de recherche au CNRS à l'université de Bordeaux. Il y a quelques références à des découvertes archéologiques dans ces travaux, mais il y a surtout beaucoup d’oublis qui fragilisent énormément leurs conclusions. Par exemple des innovations culturelles importantes s'observent à partir de 120 000 au Maroc qui semblent plutôt renforcer l'idée multiregionaliste."
L’équipe de Vanessa Hayes s’est en effet concentrée en grande partie sur l’analyse génétique. Pour ce faire, les chercheurs ont prélevé et analysé l’ADN mitochondrial (présent dans les structures qui produisent l’énergie de cellules) de populations modernes porteuses d’un marqueur génétique appelé L0. "Il s’agit du lignage le plus ancien connu chez les populations contemporaine du sud de l’Afrique, expliquent les auteurs dans leur publication. Nous montrons ici qu’il est plus vieux que nous pouvions le penser, et date d’au moins 200 000 ans."
Une analyse basée sur l'ADN mitochondrial
"Il y a une première limite dans la méthode utilisée, explique Lounes Chikhi, généticien à l'université Paul-Sabatier de Toulouse. En analysant seulement l’ADN mitochondrial, on se prive d’énormément d’informations. Il ne représente qu’une infime partie du patrimoine génétique et n’est transmis que par les femmes." En somme, dans le vaste roman qui raconte l’histoire des premiers hommes, l’ADN mitochondrial ne nous livre qu’un petit chapitre. L’histoire des groupes humains est faite d’innombrables échanges, de disparitions des uns, d’expansions des autres. Des échanges et des allers-retours qui ne sont pas toujours visibles en étudiant seulement l’ADN mitochondrial. Par exemple, des migrations impliquant les hommes uniquement seront invisibles dans les patrons de diversités mitochondriales. De plus, il est compliqué d’affirmer qu’une lignée porteuse de ce marqueur n’a pas existé il y a plus de 200 000 ans pour finalement disparaître et se trouver hors de nos champs d’analyse.
En combinant le lignage dérivé de L0 avec des données culturelles et géographiques, les auteurs expliquent pouvoir retracer les mouvements migratoires du premier groupe humain au gré de bouleversements climatiques – une augmentation des pluies dans un premier temps aurait ouvert un premier corridor. "Nous avons observé une divergence génétique significative dans les premières sous-lignées, qui indique que nos ancêtres ont quitté leur terre d'origine il y a entre 130 000 et 110 000 ans, a expliqué Vanessa Hayes lors d’une conférence de presse. Les premiers migrants se sont aventurés au nord-est, suivis d'une deuxième vague qui a voyagé vers le sud-ouest. Un troisième groupe est resté dans le pays jusqu'à aujourd'hui."
"Les auteurs ne font que constater ici la concomitance de deux évènements, une augmentation de la pluviosité et un possible mouvement migratoire, sans avancer d’éléments qui permettent de les lier", juge Francesco d’Errico. "Or nous avons démontré en 2017 avec Williams Banks et d'autres auteurs, notamment à partir de données archéologiques et climatiques, qu'une expansion de niches s'observe chez les populations humaines en Afrique du Sud il y 64-58 000 ans pendant une époque de sècheresse accrue. Il n'y a pas de lien automatique entre pluviosité et expansion."
Autre limite à ce travail, il est très compliqué d’affirmer que les premiers groupes porteurs du L0 occupaient les mêmes régions il y a 200 000 ans qu’aujourd’hui. "Certes les groupes qui y vivent sont bien dotés de ce marqueur, juge Jean-Jacques Hublin. Mais rien n’indique que ces groupes ne se sont pas considérablement déplacés au fil des changements climatiques ou n’ont pas été présents dans plusieurs régions du continent."
Un retour en arrière ?
Il y a encore quelques années, de nombreux chercheurs défendaient l’idée d’un goulot d’étranglement : un rétrécissement des populations humaines à un tout petit groupe juste avant l’expansion et la colonisation de tous les continents. Cette idée a laissé place à un schéma plus complexe et plus nuancé. Actuellement, de plus en plus de chercheurs pensent qu’il y a plusieurs centaines de milliers d’années, le continent africain dans son ensemble a servi d’incubateur pour l’espèce humaine. Les échanges fréquents entre les différents groupes ont permis une homogénéisation génétique, comme le notaient Scerri et collaborateurs en 2018 ou plus récemment, le 25 septembre, dans la revue Nature Ecology and Evolution. Faut-il donc voir dans les travaux de Vanessa Hayes et de son équipe une sorte de retour en arrière ? C’est effectivement l’avis de Lounes Chikhi : "Ces travaux auraient pu être intéressants du fait de l’échantillonnage de régions encore peu échantillonnées. Malheureusement il y a beaucoup trop de confusion. L’analyse mitochondriale est par définition limitée et les auteurs mélangent la notion d’arbre de gènes et celle d’arbre de populations. Ce genre d’analyses, que certains d’entre nous ont critiqué, étaient très populaires dans les années 1995-2005. Elles semblaient enfin avoir disparu. Même si on découvre dans le futur que les conclusions étaient correctes ce ne serait pas pour les raisons invoquées. On ne peut donc pas adhérer aux conclusions telles qu’elles sont proposées. On peut se demander si ce n’est pas aussi le jeu des “grandes revues” scientifiques, qui demandent des conclusions aussi tranchées ou controversées ou qui plaisent à certaines communautés de scientifiques. C’est dommage, mais c’est l’ensemble de la communauté scientifique qui doit s’interroger sur ces phénomènes."
Vincent Bordenave