mardi 7 mai 2024

Une étude lève le voile sur les mœurs étonnantes d’une culture guerrière ancienne

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La tombe d'un homme enterré avec son cheval, une figurine en or découverte avec un détecteur de métaux et des travaux d'excavation dans un cimetière avar sont ici illustrés. Crédits : Institut des Sciences Archéologiques de l'Université Loránd-Eötvös (Budapest, Hongrie)

Autour des années 560 et pendant plus de deux cents ans, les Avars ont étendu leur emprise sur l’Europe (Autriche, Croatie, Hongrie, Roumanie, Serbie et Slovaquie modernes). Pourtant, ce peuple guerrier n’a laissé aucune trace écrite derrière lui, si bien que pendant très longtemps, tout ce que nous en savions se basait principalement sur des écrits rédigés par leurs principaux ennemis, notamment les Byzantins, les Francs ou encore les Turcs. Aussi, leur culture et leur histoire restent encore peu connues et de nombreux mystères planent sur leurs mœurs. Heureusement, le peuple Avar a quand même laissé quelques traces, notamment des tombes opulentes remplies d’armes, de chevaux et de bijoux et de l’ADN que des chercheurs viennent d’étudier, dévoilant ainsi une généalogie fascinante et une partie de l’héritage archéologique européen.

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Qui étaient les Avars ?

Les Avars étaient un peuple nomade d’origine asiatique qui a émergé dans la région de l’Asie centrale vers le 6e siècle de notre ère. Ils étaient connus pour leur habileté à cheval et leur stratégie militaire. Leur talent pour la guerre leur a ainsi permis d’établir un vaste empire en Europe centrale et orientale, étendant leur influence sur des territoires allant de l’actuelle Russie à la Hongrie. Redoutable, cette société aussi célèbre pour ses pillages et son commerce a même été très proche de prendre Constantinople. Pour toutes ces raisons, ce peuple a eu un impact significatif sur l’histoire européenne, tant militairement que culturellement, bien que son empire ait finalement décliné au neuvième siècle. Et pourtant, on en sait encore très peu sur ces conquérants incroyablement mystérieux, d’où l’intérêt des chercheurs pour leur histoire.

En 2022, une étude fascinante avait déjà mis au jour des preuves génétiques d’un exode de 5 000 kilomètres entrepris par le peuple Avar entre la Mongolie et l’Europe centrale en seulement quelques années, un voyage probablement motivé par la montée du premier khaganat turc (ou empire) autour des années 550. Ces travaux avaient ainsi dévoilé la vague de migration la plus rapide de toute l’histoire de l’humanité sur une telle distance. Certains historiens leur attribuent en outre l’invention et la démocratisation de l’étrier en Europe, une technologie qui fut ensuite cruciale pour la cavalerie sur le continent.

Le 24 avril 2024, une autre étude publiée dans Nature a quant à elle analysé l’ADN de 424 squelettes présents dans quatre cimetières différents en Hongrie pour en apprendre plus sur la vie au temps des Avars.

Des travaux d'excavation menés dans le cimetière avar de Rákóczifalva avars
Des travaux d’excavation menés par l’Université Loránd-Eötvös (Budapest, Hongrie) en 2006 dans le cimetière de Rákóczifalva. Crédits : Institut des Sciences Archéologiques de la même université hongroise.

L’ADN de ce peuple fait de nouvelles révélations

Avec cette étude, une équipe de généticiens, d’archéologues, d’anthropologues et d’historiens de l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionnaire et de l’Université Loránd-Eötvös (Hongrie) souhaitaient surtout lever le mystère sur l’organisation des clans, comment ils interagissaient avec les nouvelles populations au fil des migrations et la place des femmes dans cette société, les sources historiques n’en ayant fait que trois mentions brèves et peu éclairantes. L’archéogénétique a ainsi permis de mieux comprendre les liens tissés entre ces populations il y a plus d’un millénaire.

Grâce à ces travaux, les scientifiques ont pu déterminer que 300 des 424 personnes étudiées au sein des quatre cimetières avait un proche au premier ou deuxième degré dans le même cimetière. Cela a ainsi permis la reconstruction de plusieurs arbres généalogique complets, le plus impressionnant s’étendant ici sur pas moins de neuf générations et 250 ans.

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Un échantillon d’os prélevé pour étudier son ADN. Crédits : Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionnaire (Allemagne)

Les hommes et femmes Avars : des rôles différents dans le mariage

« Ce qui m’a le plus surpris est le simple fait que les gens dans les cimetières étaient très interconnectés », s’étonne Zsófia Rácz, co-autrice de cette étude et chercheuse à l’université hongroise. Pourtant, l’ADN du côté des femmes montrait des origines plus diversifiées. Par ailleurs, si les hommes étaient enterrés avec leur mère et leur père, ceux de la femme ne se trouvaient pas dans le même cimetière. Pour les chercheurs, tout porte donc à croire que les Avars pratiquaient la patrilocalité (lorsque les femmes quittent leur propre communauté pour rejoindre celle de leur compagnon).

Par ailleurs, cette étude dévoile que ce peuple ne restait pas avec le même partenaire pour toute la vie. Les chercheurs ont ainsi trouvé des preuves que plusieurs hommes d’une même famille pouvaient avoir des enfants avec la même femme. La possibilité qu’ils aient pu être polygames, avoir enchaîné des mariages monogames ou avoir des relations extraconjugales n’est aussi pas exclue.

Cette non-monogamie concernait toutefois plus les hommes que les femmes. Ces dernières avaient néanmoins bel et bien recours au lévirat (l’obligation pour les femmes veuves de se remarier avec un fils ou un frère de son défunt mari), une pratique courante chez les sociétés des steppes eurasiatiques qui « permet à la fois de subvenir aux besoins des veuves et de les obliger à respecter les contrats de mariage conditionnés au fait qu’elles portent des héritiers mâles », rapporte Lara Cassidy, chercheuse en génétique au Trinity College de Dublin qui n’a pas participé à l’étude.

Plusieurs conclusions intrigantes sur les Avars

« Ces pratiques, associées à l’absence de consanguinité [même entre cousins, NDLR], indiquent que cette société gardait une mémoire détaillée de ses ancêtres et savait qui étaient ses parents biologiques à travers les générations. » De par le manque d’écrits, l’on peut ainsi suggérer l’importance de l’oralité pour dispenser ce savoir au sein des communautés Avars, et notamment du côté des femmes puisque c’était elles qui pratiquaient l’exogamie (le fait de chercher un conjoint à l’extérieur de son groupe social).

En tout cas bien qu’il soit difficile de tirer des conclusions sur la dynamique du pouvoir des genres simplement par l’analyse d’ADN et que les hommes avaient plus de chances d’être enterrés avec des objets suggérant un statut plus élevé, les scientifiques concluent tout de même en insistant sur le rôle jusqu’ici peu connu, mais essentiel des femmes pour assurer la cohésion de la société et connecter les communautés.

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Un homme Avar enterré avec son cheval. Crédits : Institut des Sciences Archéologiques de l’Université Loránd-Eötvös (Budapest, Hongrie)

Et même si ce peuple est devenu plus sédentaire à son arrivée en Europe et a connu des bouleversements culturels et politiques au cours de son histoire, la présente étude prouve en tout cas qu’en essence, ce peuple est resté fidèle à sa structure sociale de base, notamment en ce qui concerne les pratiques entourant la parenté et la descendance, et ce, avec une stabilité remarquable au fil des siècles.

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