La forme des coquilles d'ammonites enfin expliquée... par la physique
Les ammonites, un groupe de mollusques céphalopodes aujourd'hui éteint, possédaient des coquilles en forme de spirales ondulées à la diversité exceptionnelle et bien connues des amateurs de fossiles. Régis Chirat, chercheur au Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes et environnement (CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1/ENS de Lyon), et deux collaborateurs de l'Institut de mathématiques de l'université d'Oxford ont développé le premier modèle biomécanique expliquant la formation et la diversité de ces coquilles. Leur approche ouvre de nouvelles perspectives pour interpréter l'évolution des ammonites et des nautiles, leurs "cousins" éloignés aux coquilles lisses, qui peuplent encore les eaux des océans Indien et Pacifique. Ces travaux viennent d'être publiés sur le site de la revue Journal of Theoretical Biology.http://www2.cnrs.fr/presse/communique/3753.htm
La forme des organismes vivants évolue au cours du temps et les interrogations suscitées par ces transformations ont favorisé l'émergence des théories de l'évolution. Pour comprendre comment les formes biologiques changent à l'échelle des temps géologiques, les chercheurs s'intéressent depuis peu de temps à la façon dont elles sont générées au cours du développement et de la croissance d'un individu : on parle de morphogénèse. Le groupe des ammonites, compte tenu de la diversité exceptionnelle de la forme des coquilles et des motifs (en particulier les côtes) qui les ornent, est très étudié d'un point de vue évolutif mais les mécanismes à l'origine de ces spirales ondulées étaient jusqu'ici inconnus. Les chercheurs tentaient donc de comprendre l'évolution de ces formes sans savoir comment elles avaient été générées.Régis Chirat et ses collaborateurs ont développé un modèle qui explique la morphogénèse de ces coquilles. En décrivant par des équations mathématiques la façon dont la coquille est sécrétée par l'ammonite et croît, ils ont mis en évidence l'existence de forces mécaniques propres aux mollusques en cours de développement. Ces forces dépendent des propriétés physiques des tissus biologiques et de la géométrie de la coquille. Elles sont à l'origine d'oscillations mécaniques à l'extrémité de la coquille qui génèrent les côtes, sortes d'ondulations ornant la spirale.
En confrontant différents spécimens fossiles aux simulations produites par le modèle, les chercheurs ont observé que celui-ci peut prédire le nombre et la forme des côtes pour différentes ammonites. Le modèle montre que l'ornementation de la coquille évolue en fonction de variables telles que l'élasticité des tissus et le taux d'expansion de la coquille, taux auquel le diamètre de l'ouverture augmente à chaque tour de spire.
En offrant une explication biophysique à la formation de ces ornementations, cette approche théorique permet d'expliquer la diversité existante au sein des espèces et entre elles. Elle ouvre ainsi des perspectives nouvelles dans l'étude de l'évolution morphologique des ammonites, évolution qui apparait fortement canalisée par des contraintes mécaniques et géométriques. Ce nouvel outil apporte d'ailleurs un éclairage sur une vieille énigme. Depuis près de 200 millions d'années, les coquilles des nautiles, "cousins" éloignés des ammonites, sont demeurées essentiellement lisses et sans ornementation distinctive. Le modèle montre que le maintien de cette forme de coquille ne traduit pas une absence d'évolution comme le suggère le qualificatif de "fossiles vivants" attribué aux nautiles actuels, mais est dû à un fort taux d'expansion qui conduit à la formation de coquilles lisses difficilement distinguables les unes des autres.
De façon plus générale, ces travaux soulignent l'intérêt de l'étude des bases physiques du développement biologique : en comprenant les "règles de construction" à l'origine de la diversité morphologique des organismes, l'évolution de leur forme devient en partie prédictible.
© Derek Moulton, Alain Goriely et Régis Chirat
A gauche :
Schéma représentant la zone de production de la coquille. Le manteau sécrète la coquille calcifiée et le periostracum, une couche organique qui vient recouvrir l'extérieur de la coquille. C'est au niveau de cette zone que des interactions mécaniques génèrent spontanément des oscillations qui produisent les côtes.
A droite :
Une prédiction théorique (ligne bleue) produite par le modèle est superposée sur une ammonite datant du jurassique.
Schéma représentant la zone de production de la coquille. Le manteau sécrète la coquille calcifiée et le periostracum, une couche organique qui vient recouvrir l'extérieur de la coquille. C'est au niveau de cette zone que des interactions mécaniques génèrent spontanément des oscillations qui produisent les côtes.
A droite :
Une prédiction théorique (ligne bleue) produite par le modèle est superposée sur une ammonite datant du jurassique.
© Derek Moulton, Alain Goriely et Régis Chirat
Le
modèle mécanique prédit les corrélations observées entre fréquence et
amplitude des côtes et forme générale de la coquille chez les ammonites
(espace morphologique en bleu) et les nautiles (espace morphologique en
rouge)
Les vues 3D produites par le modèle sont juxtaposées à des spécimens fossiles, ammonites et nautile, présentant une forme similaire.
Les côtes tendent à disparaitre pour les formes de coquilles largement ouvertes caractérisant les nautiles depuis près de 200 millions d'années.
W = taux d'expansion
D = degrés de recouvrement
Les vues 3D produites par le modèle sont juxtaposées à des spécimens fossiles, ammonites et nautile, présentant une forme similaire.
Les côtes tendent à disparaitre pour les formes de coquilles largement ouvertes caractérisant les nautiles depuis près de 200 millions d'années.
W = taux d'expansion
D = degrés de recouvrement
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