astres - 10/02/2016 (1379 mots)
Pendant un an, Cyprien Verseux, astrobiologiste
français, vivra isolé du monde à Hawaii dans un dôme de 11 mètres de
diamètre, avec cinq autres personnes. L'objectif ? Préparer des voyages
interplanétaires, notamment vers Mars. Il propose de nous faire vivre de
l'intérieur cette mission lancée par la NASA.
Pourquoi est-ce que l’on tient à ce
point à aller sur Mars ? La première réponse qui vient à l’esprit :
parce que l’on pourrait y trouver des traces de vie extraterrestre.
Vous pensez sans doute que, étant un astrobiologiste, je suis biaisé. Et vous avez probablement raison. Les microbes m’intéressent plus que les roches et si vous êtes un géologue, vous êtes sans doute en train de crier sur votre écran. Mais lorsque qu’il s’agit de Mars, la recherche de vie est en général en tête des objectifs de mission. Mars n’a pas toujours été le désert gelé d’aujourd’hui. Elle a été entourée d’une atmosphère plus épaisse, a eu des lacs, des rivières et des océans, et a été plus chaude. Les roches volcaniques et les gaz atmosphériques ont probablement fourni tous les nutriments nécessaires à la vie microbienne.
Cela dit, le fait qu’une planète ait tout ce qu’il faut pour abriter la vie ne signifie pas qu’elle l’abrite. « La où il y a de l’eau, il y a de la vie », comme vous avez pu le lire dans divers magazines qui cherchent à se donner image intellectuelle, est une affirmation naïve fondée sur ce que l’on observe dans des environnements terrestres. Mettez de l’eau et tout ce dont des microbes ont besoin dans une bouteille, fermez-la (la bouteille), chauffez-la suffisamment pour tuer tout ce qu’il y a à l’intérieur, et laissez-la se refroidir. Tant que votre bouteille est fermée, vous avez un environnement qui est favorable à la vie mais qui n’en contient pas. Le fait que Mars ait été une planète hospitalière ne veut donc pas dire qu’elle ait été habitée.
Cela ne veut pas non plus dire qu’elle ne l’a pas été. D’ailleurs, il est probable que Mars ait été contaminée par de la vie terrestre. Et je ne fais pas référence à d’éventuels ratés lors de la stérilisation du foret d’un rover. Non, je parle de bactéries traversant l'espace en surfant sur des roches. Surprenant ? Peut-être. Mais de larges grandes quantités de roches été transférées de la Terre à Mars, et vice-versa, après avoir été expulsées par des impacts d’astéroïdes et de comètes.
Lancez une pierre dans du gravier. Des cailloux vont être expulsés suite à l'impact, on est d’accord ? Lancez-la plus fort. Les cailloux éjectés partiront plus loin, plus vite. Si vous jetez la pierre suffisamment fort pour que les cailloux éjectés atteignent 12 km/s (et s’ils ne sont pas détruits par la chaleur), ils peuvent quitter la Terre : 12 km/h est juste au-dessus de ce qu’on appelle la vitesse d'évasion de la Terre. La vitesse d’évasion d’une planète est, en gros, la vitesse que l'on doit atteindre pour échapper à son attraction gravitationnelle. Autrement dit : si vous allez à une vitesse supérieure à la vitesse d'évasion d'une planète, vous pouvez finir dans l'espace.
Je doute que vous puissiez jeter une pierre suffisamment fort pour que des cailloux atteignent la vitesse d'évasion de la Terre (sans vouloir vous offenser). Mais un impact d'astéroïde le peut. Les éjecta dépassant la vitesse d'évasion quittent la planète et commencent à orbiter autour du Soleil pour des centaines de milliers ou des millions d'années, jusqu'à ce qu'ils entrent en collision avec un autre corps céleste ou quittent notre système solaire. Et les impacts d'astéroïdes sur Terre ou sur Mars sont fréquents (à une échelle de temps géologique ; non, pas besoin d'investir dans un bunker souterrain).
Fait intéressant : on sait que la vie sur Terre est apparue il y a plus de 3,5 milliards d'années, et a donc pu exister à une époque où Mars était hospitalière. Cette coïncidence a pu favoriser la survive de microorganismes après une contamination de la Terre vers Mars. Ou… l'inverse. Oui. Pour différentes raisons, si la Terre et Mars abritaient la même densité de vie, un transfert de Mars à la Terre est plus probable que l'inverse. En particulier parce que la vitesse d'évasion de Mars est plus faible que celle de la Terre : 5 km/h (et non, désolé, vous ne pouvez toujours pas lancer une pierre dans l'espace depuis Mars ; cela dit, depuis l'une de ses lunes, peut-être). Une roche peut donc être éjectée de Mars dans des conditions beaucoup plus douces pour d’éventuels passagers microscopiques. A ce stade, je peux - peut-être - vous dire ceci sans que vous alertiez les hôpitaux psychiatriques : il n'est pas impossible que la vie sur Terre soit arrivée de Mars.
Cela dit, être éjecté d'une planète par un impact d'astéroïde, traverser l’espace sur un fragment de roche et s'écraser sur une autre planète ne semble pas être un voyage auquel votre compagnie d’assurance vous recommanderait de participer. Est-ce qu'une bactérie - ou une forme de vie plus primitive - pourrait y survivre ?
Le premier problème est la pression subie par les roches éjectées par un impact d'astéroïde. Des « shock recovery experiments » (un terme sophistiqué pour « mettre des microbes dans une balle de pistolet, tirer et voir si les microbes sont toujours vivants ») ont montré que certaines bactéries peuvent survivre un impact suffisant pour éjecter une roche de Mars. Un autre problème est celui de la chaleur causée par la friction avec l'atmosphère des planètes d’origine et d’arrivée (frottez vos mains le plus vite possible ; vous réalisez rapidement que la friction crée de la chaleur). Mais les roches peuvent être éjectées de Mars sans être excessivement chauffées : on estime que des milliards de débris ont voyagé de Mars à la Terre sans être chauffés au-dessus de 100°C, et qu’une fraction d'entre eux ont voyagé pendant une période inférieure à la durée de vie d'une bactérie dormante. Et finalement, il y a le voyage dans l'espace qui implique des températures extrêmement basses, diverses radiations, du vide, et quelques autres conditions sous lesquelles vous n’installeriez pas votre chaise longue. Mais la résistance des bactéries à l’espace a été étudiée intensément dans les dernières décennies, dans des simulations sur Terre et dans des engins spatiaux, et il semble que certaines bactéries pourraient, enfouies dans des roches, survivre le voyage.
Si Mars a un jour abrité la vie, il est donc hautement probable que cette vie ait contaminé la Terre. D’ailleurs, des structures présentes dans des météorites martiennes trouvées sur Terre sont fortement suspectées d'être des fossiles de bactéries. Les plus suspectes sont contenues dans le fragment de météorite ALH84001 ; 20 ans après leur découverte, des formes ressemblant à des microfossiles sont toujours le sujet de discussions très intenses dans la communauté scientifique. Bien plus intenses que ce que vous attendriez de discussions à propos d’une pierre (ou en tout cas, d’une pierre qui n’a été jetée à la tête de personne). Si ces structures avaient été trouvées dans une roche ordinaire, à un endroit ordinaire, la plupart des biologistes auraient conclu avec certitude qu’il s’agit de microbes fossilisés. Personne ne le leur aurait reproché. Mais comme l’a dit Carl Sagan, « une affirmation extraordinaire nécessite des preuves extraordinaires », et on n’a à ce jour aucune preuve indiscutable que ces structures viennent de bactéries ayant vécu sur Mars. Malgré des indices qui poussent vers une conclusion comme un serpent biblique à une pomme, et malgré les convictions d’éminents scientifiques.
Les structures controversées du fragment de météorite ALH84001.
Une autre interrogation brûlante concerne la possibilité de vie sur Mars… aujourd’hui. La vie à la surface est peu probable vu les conditions qui ne sont pas franchement hospitalières, mais rien n’exclut la possibilité de microbes souterrains.
Est-ce qu’il y eu de la vie sur Mars ? Est-ce qu’elle vient de la Terre ? Est-ce que la vie sur Terre vient de Mars ? Est-ce qu’il y a, en ce moment même, de la vie sur Mars ? Nous n’aurons probablement de réponse satisfaisante à ces questions que lorsque des hommes fouleront la poussière rouge de Mars.
Cyprien Verseux
http://www.larecherche.fr/actualite/astres/blog-post-18-bacteries-qui-surfent-espace-10-02-2016-203510
Vous pensez sans doute que, étant un astrobiologiste, je suis biaisé. Et vous avez probablement raison. Les microbes m’intéressent plus que les roches et si vous êtes un géologue, vous êtes sans doute en train de crier sur votre écran. Mais lorsque qu’il s’agit de Mars, la recherche de vie est en général en tête des objectifs de mission. Mars n’a pas toujours été le désert gelé d’aujourd’hui. Elle a été entourée d’une atmosphère plus épaisse, a eu des lacs, des rivières et des océans, et a été plus chaude. Les roches volcaniques et les gaz atmosphériques ont probablement fourni tous les nutriments nécessaires à la vie microbienne.
Cela dit, le fait qu’une planète ait tout ce qu’il faut pour abriter la vie ne signifie pas qu’elle l’abrite. « La où il y a de l’eau, il y a de la vie », comme vous avez pu le lire dans divers magazines qui cherchent à se donner image intellectuelle, est une affirmation naïve fondée sur ce que l’on observe dans des environnements terrestres. Mettez de l’eau et tout ce dont des microbes ont besoin dans une bouteille, fermez-la (la bouteille), chauffez-la suffisamment pour tuer tout ce qu’il y a à l’intérieur, et laissez-la se refroidir. Tant que votre bouteille est fermée, vous avez un environnement qui est favorable à la vie mais qui n’en contient pas. Le fait que Mars ait été une planète hospitalière ne veut donc pas dire qu’elle ait été habitée.
Cela ne veut pas non plus dire qu’elle ne l’a pas été. D’ailleurs, il est probable que Mars ait été contaminée par de la vie terrestre. Et je ne fais pas référence à d’éventuels ratés lors de la stérilisation du foret d’un rover. Non, je parle de bactéries traversant l'espace en surfant sur des roches. Surprenant ? Peut-être. Mais de larges grandes quantités de roches été transférées de la Terre à Mars, et vice-versa, après avoir été expulsées par des impacts d’astéroïdes et de comètes.
Lancez une pierre dans du gravier. Des cailloux vont être expulsés suite à l'impact, on est d’accord ? Lancez-la plus fort. Les cailloux éjectés partiront plus loin, plus vite. Si vous jetez la pierre suffisamment fort pour que les cailloux éjectés atteignent 12 km/s (et s’ils ne sont pas détruits par la chaleur), ils peuvent quitter la Terre : 12 km/h est juste au-dessus de ce qu’on appelle la vitesse d'évasion de la Terre. La vitesse d’évasion d’une planète est, en gros, la vitesse que l'on doit atteindre pour échapper à son attraction gravitationnelle. Autrement dit : si vous allez à une vitesse supérieure à la vitesse d'évasion d'une planète, vous pouvez finir dans l'espace.
Je doute que vous puissiez jeter une pierre suffisamment fort pour que des cailloux atteignent la vitesse d'évasion de la Terre (sans vouloir vous offenser). Mais un impact d'astéroïde le peut. Les éjecta dépassant la vitesse d'évasion quittent la planète et commencent à orbiter autour du Soleil pour des centaines de milliers ou des millions d'années, jusqu'à ce qu'ils entrent en collision avec un autre corps céleste ou quittent notre système solaire. Et les impacts d'astéroïdes sur Terre ou sur Mars sont fréquents (à une échelle de temps géologique ; non, pas besoin d'investir dans un bunker souterrain).
Fait intéressant : on sait que la vie sur Terre est apparue il y a plus de 3,5 milliards d'années, et a donc pu exister à une époque où Mars était hospitalière. Cette coïncidence a pu favoriser la survive de microorganismes après une contamination de la Terre vers Mars. Ou… l'inverse. Oui. Pour différentes raisons, si la Terre et Mars abritaient la même densité de vie, un transfert de Mars à la Terre est plus probable que l'inverse. En particulier parce que la vitesse d'évasion de Mars est plus faible que celle de la Terre : 5 km/h (et non, désolé, vous ne pouvez toujours pas lancer une pierre dans l'espace depuis Mars ; cela dit, depuis l'une de ses lunes, peut-être). Une roche peut donc être éjectée de Mars dans des conditions beaucoup plus douces pour d’éventuels passagers microscopiques. A ce stade, je peux - peut-être - vous dire ceci sans que vous alertiez les hôpitaux psychiatriques : il n'est pas impossible que la vie sur Terre soit arrivée de Mars.
Cela dit, être éjecté d'une planète par un impact d'astéroïde, traverser l’espace sur un fragment de roche et s'écraser sur une autre planète ne semble pas être un voyage auquel votre compagnie d’assurance vous recommanderait de participer. Est-ce qu'une bactérie - ou une forme de vie plus primitive - pourrait y survivre ?
Le premier problème est la pression subie par les roches éjectées par un impact d'astéroïde. Des « shock recovery experiments » (un terme sophistiqué pour « mettre des microbes dans une balle de pistolet, tirer et voir si les microbes sont toujours vivants ») ont montré que certaines bactéries peuvent survivre un impact suffisant pour éjecter une roche de Mars. Un autre problème est celui de la chaleur causée par la friction avec l'atmosphère des planètes d’origine et d’arrivée (frottez vos mains le plus vite possible ; vous réalisez rapidement que la friction crée de la chaleur). Mais les roches peuvent être éjectées de Mars sans être excessivement chauffées : on estime que des milliards de débris ont voyagé de Mars à la Terre sans être chauffés au-dessus de 100°C, et qu’une fraction d'entre eux ont voyagé pendant une période inférieure à la durée de vie d'une bactérie dormante. Et finalement, il y a le voyage dans l'espace qui implique des températures extrêmement basses, diverses radiations, du vide, et quelques autres conditions sous lesquelles vous n’installeriez pas votre chaise longue. Mais la résistance des bactéries à l’espace a été étudiée intensément dans les dernières décennies, dans des simulations sur Terre et dans des engins spatiaux, et il semble que certaines bactéries pourraient, enfouies dans des roches, survivre le voyage.
Si Mars a un jour abrité la vie, il est donc hautement probable que cette vie ait contaminé la Terre. D’ailleurs, des structures présentes dans des météorites martiennes trouvées sur Terre sont fortement suspectées d'être des fossiles de bactéries. Les plus suspectes sont contenues dans le fragment de météorite ALH84001 ; 20 ans après leur découverte, des formes ressemblant à des microfossiles sont toujours le sujet de discussions très intenses dans la communauté scientifique. Bien plus intenses que ce que vous attendriez de discussions à propos d’une pierre (ou en tout cas, d’une pierre qui n’a été jetée à la tête de personne). Si ces structures avaient été trouvées dans une roche ordinaire, à un endroit ordinaire, la plupart des biologistes auraient conclu avec certitude qu’il s’agit de microbes fossilisés. Personne ne le leur aurait reproché. Mais comme l’a dit Carl Sagan, « une affirmation extraordinaire nécessite des preuves extraordinaires », et on n’a à ce jour aucune preuve indiscutable que ces structures viennent de bactéries ayant vécu sur Mars. Malgré des indices qui poussent vers une conclusion comme un serpent biblique à une pomme, et malgré les convictions d’éminents scientifiques.
Les structures controversées du fragment de météorite ALH84001.
Une autre interrogation brûlante concerne la possibilité de vie sur Mars… aujourd’hui. La vie à la surface est peu probable vu les conditions qui ne sont pas franchement hospitalières, mais rien n’exclut la possibilité de microbes souterrains.
Est-ce qu’il y eu de la vie sur Mars ? Est-ce qu’elle vient de la Terre ? Est-ce que la vie sur Terre vient de Mars ? Est-ce qu’il y a, en ce moment même, de la vie sur Mars ? Nous n’aurons probablement de réponse satisfaisante à ces questions que lorsque des hommes fouleront la poussière rouge de Mars.
Cyprien Verseux
http://www.larecherche.fr/actualite/astres/blog-post-18-bacteries-qui-surfent-espace-10-02-2016-203510
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