Les abeilles sont désorientées
vie - 05/11/2013 par Anne Debroise (514 mots)
Ce travail a reçu le prix La Recherche - Mention biologie. Retrouvez le palmarès complet dans le n°481 de La Recherche, disponoble en kiosque ou en ligne.
http://www.larecherche.fr/actualite/vie/abeilles-sont-desorientees-05-11-2013-153942
Le 1er décembre 2013, l'utilisation de trois pesticides suspectés de jouer un rôle dans la surmortalité des abeilles domestiques sera suspendue pour deux ans en Europe.
Mickaël Henry n'est pas étranger à cette décision. Avec son équipe du laboratoire abeilles et environnement de l'Institut national de la recherche agronomique, à Avignon, il a démontré que les abeilles qui ont ingéré l'un de ces pesticides, le thiaméthoxame, éprouvent des difficultés à revenir à leur ruche [1].
Depuis une quinzaine d'années, dans l'hémisphère Nord, une proportion importante de ruches se vident subitement de leurs habitantes en hiver. Aucune des explications avancées (usage des pesticides, maladies, dégradation des habitats) ne suffit à rendre compte de l'ampleur du phénomène.
Jusqu'ici, l'influence des pesticides sur les abeilles, au niveau individuel, n'avait été mesurée qu'en laboratoire. Pour effectuer des mesures en conditions réelles, l'équipe d'Avignon a mis au point un système de suivi individuel des abeilles. Il est constitué de puces de radio-identification d'environ 1 millimètre de côté, fixées sur le thorax des butineuses, et d'un boîtier qui, à l'entrée de la ruche, identifie leurs va-et-vient.
Au total, 653 abeilles en ont été équipées. Avant d'être relâchées, elles ont reçu une goutte de solution sucrée additionnée, pour la moitié d'entre elles, d'un nanogramme de thiaméthoxame.
Ce pesticide, couramment utilisé pour protéger les céréales contre les insectes suceurs de sève, contamine le nectar dont se nourrissent les abeilles. Les repas contaminés contenaient la moitié de la dose à partir de laquelle des effets létaux ont été observés en laboratoire. Une dose théoriquement sans danger.
Pourtant, relâchées à 1 kilomètre de leur ruche, les abeilles ayant ingéré le thiaméthoxame ont été deux à trois fois plus nombreuses que les autres à manquer à l'appel à la ruche. Incapables de vivre hors de leur colonie, elles sont mortes.
Pourquoi cette absence ? Des expériences antérieures avaient montré que des doses sublétales de ces pesticides, qui interfèrent avec la transmission nerveuse, peuvent avoir deux effets principaux sur les abeilles : altérer leur réflexe de vol, et détériorer leurs capacités à s'orienter.
Or les expériences de l'équipe montrent que les abeilles relâchées sur un site qu'elles connaissent sont moins perturbées par l'ingestion de thiaméthoxame que celles relâchées sur un site inconnu. Le facteur déterminant serait donc l'effet des pesticides sur les capacités d'orientation des abeilles.
Quoi qu'il en soit, l'expérience démontre que l'évaluation de la mortalité directe par empoisonnement des abeilles en laboratoire ne suffit pas pour juger de la nocivité réelle des pesticides. Une nocivité significative : d'après les simulations effectuées avec un modèle de dynamique des colonies d'abeilles, la défection des abeilles désorientées peut diviser par deux ou trois la population de la ruche en moins de quarante jours. Elle devient dès lors très vulnérable au moindre stress supplémentaire.
http://www.larecherche.fr/actualite/vie/abeilles-sont-desorientees-05-11-2013-153942
Le 1er décembre 2013, l'utilisation de trois pesticides suspectés de jouer un rôle dans la surmortalité des abeilles domestiques sera suspendue pour deux ans en Europe.
Mickaël Henry n'est pas étranger à cette décision. Avec son équipe du laboratoire abeilles et environnement de l'Institut national de la recherche agronomique, à Avignon, il a démontré que les abeilles qui ont ingéré l'un de ces pesticides, le thiaméthoxame, éprouvent des difficultés à revenir à leur ruche [1].
Depuis une quinzaine d'années, dans l'hémisphère Nord, une proportion importante de ruches se vident subitement de leurs habitantes en hiver. Aucune des explications avancées (usage des pesticides, maladies, dégradation des habitats) ne suffit à rendre compte de l'ampleur du phénomène.
Jusqu'ici, l'influence des pesticides sur les abeilles, au niveau individuel, n'avait été mesurée qu'en laboratoire. Pour effectuer des mesures en conditions réelles, l'équipe d'Avignon a mis au point un système de suivi individuel des abeilles. Il est constitué de puces de radio-identification d'environ 1 millimètre de côté, fixées sur le thorax des butineuses, et d'un boîtier qui, à l'entrée de la ruche, identifie leurs va-et-vient.
Au total, 653 abeilles en ont été équipées. Avant d'être relâchées, elles ont reçu une goutte de solution sucrée additionnée, pour la moitié d'entre elles, d'un nanogramme de thiaméthoxame.
Ce pesticide, couramment utilisé pour protéger les céréales contre les insectes suceurs de sève, contamine le nectar dont se nourrissent les abeilles. Les repas contaminés contenaient la moitié de la dose à partir de laquelle des effets létaux ont été observés en laboratoire. Une dose théoriquement sans danger.
Pourtant, relâchées à 1 kilomètre de leur ruche, les abeilles ayant ingéré le thiaméthoxame ont été deux à trois fois plus nombreuses que les autres à manquer à l'appel à la ruche. Incapables de vivre hors de leur colonie, elles sont mortes.
Pourquoi cette absence ? Des expériences antérieures avaient montré que des doses sublétales de ces pesticides, qui interfèrent avec la transmission nerveuse, peuvent avoir deux effets principaux sur les abeilles : altérer leur réflexe de vol, et détériorer leurs capacités à s'orienter.
Or les expériences de l'équipe montrent que les abeilles relâchées sur un site qu'elles connaissent sont moins perturbées par l'ingestion de thiaméthoxame que celles relâchées sur un site inconnu. Le facteur déterminant serait donc l'effet des pesticides sur les capacités d'orientation des abeilles.
Quoi qu'il en soit, l'expérience démontre que l'évaluation de la mortalité directe par empoisonnement des abeilles en laboratoire ne suffit pas pour juger de la nocivité réelle des pesticides. Une nocivité significative : d'après les simulations effectuées avec un modèle de dynamique des colonies d'abeilles, la défection des abeilles désorientées peut diviser par deux ou trois la population de la ruche en moins de quarante jours. Elle devient dès lors très vulnérable au moindre stress supplémentaire.
Par Anne Debroise
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