mardi 8 décembre 2015

La foutaise : un sujet de recherche prometteur

04.12.2015 par Nicolas Gauvrit, dans pseudo-scienceraison
Des chercheurs se penchent sur la perception des foutaises (bullshit)
Une phrase telle que
La maladie est une des conséquences d’une dysharmonie dans la fractalité des énergies au milieu du réseau corporel
a des effets variables sur les lecteurs. Certains y verront l’expression d’une vérité profonde délicatement suggérée ; une vérité tellement insondable qu’elle semble obscure. D’autres, à l’inverse, détecteront ici un exemple de foutaise mimant la profondeur, artificiellement complexe pour masquer sa vacuité.

En l’occurrence, cette formule fût créée par un générateur automatique de foutaises, le blablator. Il s’agit donc bien d’un énoncé creux ne donnant que l’illusion de la profondeur à certains lecteurs. Cette illusion, les zététiciens la nomme effet puits, selon l’aphorisme "plus c’est creux, plus on a l’impression que c’est profond". Dan Sperber l’appelle quant à luieffet gourou. Mais il s’agit bien du même phénomène : un discours qui n’a pas de sens (ou un sens banal) semble profond parce qu’il est obscur.
L’exemple ci-dessus est artificiel, mais vous aurez peut-être reconnu dans cette invention le style ouvragé de plusieurs de nos grands penseurs. Lacan, par exemple, n’a-t-il pas écrit moult sibyllines considérations de ce type ? Face à elles, certains oscillent entre sidération et rigolade, quand d’autres s’extasient devant tant de finesse. En voici une illustration (pour une analyse critique voir ici) :
Rien de plus compact qu'une faille, s'il est bien clair que, l'intersection de tout ce qui s'y ferme étant admise comme existante sur un nombre infini d'ensembles, il en résulte que l'intersection implique ce nombre infini.
Pourquoi certains sont-ils plus que d’autres tentés de voir dans ce type de phrases une profondeur et un sens cachés ? C’est ce qu’une équipe de chercheurs canadiens (Pennycook, Cheyne, Barr, Koehler et Fugelsang) a tenté de découvrir en menant la première enquête sur ce sujet fascinant mais jusque là inexploré : la perception et la détection du "bullshit". Dans une série de quatre études, les auteurs détaillent les liens entre la sensibilité au bullshit et certains traits psychologiques. Pour cela, ils ont demandé à plusieurs centaines de participants de juger la profondeur de phrases soit produites automatiquement comme ci-dessus, soit empruntées au très médiatique Deepak Choprah, dont le compte twitter s’avère une mine pour ce genre de travaux.
Une tendance à percevoir comme profondes les "conneries" ronflantes est liée à une intelligence verbale (vocabulaire) plus modeste, une plus grande religiosité, une plus grande croyance dans les phénomènes paranormaux, une attitude plus favorable aux médecines alternatives, ainsi qu’un mode de pensée plus intuitif qu’analytique.
Néanmoins, les auteurs admettent avec honnêteté qu’une tendance à décrire comme profondes des phrases creuses n’est pas forcément le signe d’une crédulité face à l’imposture intellectuelle : il se pourrait que les participants correspondant à cette description manifestent en réalité une tendance générale à surestimer la profondeur de n’importe quelle affirmation, que cela soit ou non justifié. Pour affiner leurs résultats, ils ont alors utilisé un indice de sensibilité spécifique à la "connerie pseudo-profonde" (pseudo-profound bullshit). Avec ce score plus précis, ils montrent un lien (modéré) entre une crédulité spécifique au charabia, un raisonnement logique défaillant, et les croyances au paranormal. En revanche, si ceux qui montrent une attitude positive à l’égard de la médecine alternative ont bien tendance à juger plus profondes les phrases creuses, cette tendance n’est pas spécifique aux foutaises. De même, aucun lien n’est trouvé entre une sensibilité spécifique au bullshit et une croyance forte dans les théories du complot.

Outre l’aspect jubilatoire de lire dans une revue scientifique un article traitant ce thème, on pourra apprécier que les auteurs marquent peut-être la naissance d’une ligne de recherches passionnantes. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que cette publication est la première sur le sujet, et qu’il est toujours risqué de se fier à une étude isolée pour conclure de manière définitive. Prudence donc, et attendons la suite !

Références
L’article sur la réception du bullshit

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