vendredi 23 septembre 2016

« La maladie d’Alzheimer est aussi liée à notre mode de vie »

A l'occasion de la journée mondiale de lutte contre Alzheimer, découvrez en avant-première un extrait du grand entretien que nous a accordé Judes Poirier, qui dirige le programme de recherche sur le vieillissement et la maladie d’Alzheimer à l’institut de santé mentale Douglas de l’Université McGill, à Montréal. L'ensemble de l'interview est à retrouver dans notre numéro 516, en kiosque jeudi 29 septembre.

Pourquoi toutes les molécules testées jusqu’ici contre la maladie d’Alzheimer se sont-elles révélées inefficaces ? Pour Judes Poirier, c’est que l’on s’est trompé de cible. Plutôt que de s’attaquer aux symptômes de la maladie, il propose de la retarder avec un médicament régulateur de cholestérol.
LA RECHERCHE - Depuis que la maladie d’Alzheimer a été décrite pour la première fois en 1906, sa progression n’a cessé d’inquiéter. Où en est-on aujourd’hui ?
JUDES POIRIER -
Les dernières évaluations de l’Organisation mondiale de la santé, qui datent d’avril 2016, sont alarmantes. Elles indiquent 47,5 millions de cas de démence sénile dans le monde, dont 70 % environ, soit 33 millions de personnes, sont des malades d’Alzheimer. Et ce chiffre devrait presque doubler tous les vingt ans. En France par exemple, plus de 900 000 personnes sont déjà atteintes, et les coûts médicaux et paramédicaux liés à la maladie s’élèvent à 5,3 milliards d’euros par an. Mais, premier signe encourageant, alors qu’il semblait impossible d’arrêter la progression de la maladie, elle commence à légèrement ralentir en Europe de l’Ouest et du Nord, et en Amérique du Nord, selon un rapport publié en 2015 par l’Observatoire global du vieillissement et de la démence. Il n’en va pas de même pour l’Asie (sauf la zone Pacifique), l’Amérique du Sud et même l’Afrique, où elle progresse à grands pas.
LR - Quels sont les principaux facteurs de risque de développer la maladie ?
J. P. - En dehors de l’âge (après 85 ans, 45 % des gens développent la maladie), on considère que 70 % des risques sont dus à la génétique et 30 % à l’environnement. L’étude du risque génétique a montré qu’il existe deux formes très différentes de la pathologie. La première est dite familiale ou héréditaire parce qu’il suffit d’être porteur de l’un des trois gènes identifiés dans les années 1990 pour développer la maladie. Dans ce cas, elle débute entre 35 ans et 55  ans, progresse très rapidement, mais est très rare : 1 à 2 % de l’ensemble des cas. Pour la seconde forme, la plus courante, une vingtaine de gènes ont été découverts comme facteurs de risque : les porteurs de ces gènes ont plus de risques de développer la maladie mais certains ne la contractent jamais. À côté de cette composante génétique, on observe dans l’ordre décroissant cinq autres facteurs de risque liés au style de vie : l’hypertension, le diabète, le cholestérol, l’obésité et l’apnée du sommeil. À elle seule, l’hypertension triple le risque.
LR - Vous estimez que la maladie d’Alzheimer serait liée à un déficit de cholestérol. Pourquoi ?
J. P. -
Bien qu’ayant mauvaise réputation, le cholestérol est la matière première indispensable de nos neurones. Il intervient dans deux éléments clés de la communication des neurones entre eux : le développement des synapses et la fabrication de la gaine de myéline qui entoure les axones, les fibres nerveuses reliant les neurones. D’ailleurs, notre cerveau contient 25 % du cholestérol de notre organisme alors qu’il représente seulement 2,1 % de son poids. Or nous avons constaté que sur les dix principaux facteurs de risque génétiques impliqués dans la maladie d’Alzheimer, six ont un lien avec l’équilibrage du cholestérol dans le système nerveux. Cela nous a amenés à nous intéresser aux médicaments existants pour traiter l’hypercholestérolémie. Et notamment à l’un d’entre eux, développé dans les années 1970, le probucol. Ce dernier stimule la synthèse et la sécrétion de l’ApoE, une protéine indispensable au transport du cholestérol. Dans le système sanguin, cela favorise la capture du cholestérol par le foie qui l’élimine, donc cela fait baisser le taux de cholestérol. Et dans le cerveau, cela facilite l’entrée du cholestérol dans les neurones, indispensable à leur entretien. (…) Nous avons noté une amélioration des fonctions cognitives après six mois de traitement.
LR - Allez-vous tester son efficacité ?
J. P. - Effectivement. Mon collège John Breitner et moi avons obtenu en 2012 une somme de 1,5 million de dollars (1,3 million d’euros) dans le cadre d’un partenariat public-privé. Nous avons constitué une cohorte de personnes âgées de 60 ans minimum sans troubles cognitifs mais dont l’un des parents a développé la maladie d’Alzheimer. Nous les suivons pendant deux à cinq ans en testant trois traitements tandis qu’une partie du groupe sera sous placebo. Nous aurons à la fin de l’année les résultats d’une première étude conduite avec un anti-inflammatoire, le naproxène, choisi parce qu’un travail antérieur semble montrer qu’il retarde le début de la maladie. La deuxième étude de prévention a démarré au printemps avec le probucol sur un groupe de 75 personnes. Enfin, nous comptons aussi tester l’insuline en spray par voie nasale car c’est un promoteur de croissance des connexions neuronales. (…) Si nos résultats sont positifs, mon défi sera de convaincre les gouvernements de valider ces traitements peu coûteux et sans intérêt pour l’industrie pharmaceutique.
[…]
Propos recueillis par Marie-Laure Théodule
http://www.larecherche.fr/grand-entretien-m%C3%A9decine-alzheimer/%C2%AB-la-maladie-d%E2%80%99alzheimer-est-aussi-li%C3%A9e-%C3%A0%C2%A0notre-mode-de-vie-%C2%BB 

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