La résistance des bactéries aux antibiotiques est une menace mondiale pour la santé publique, comme nous l'expliquons dans
notre dernier numéro.
Et elle gagne du terrain, très rapidement. La vitesse d’acquisition de
la résistance par les bactéries a été mise en évidence dans une vidéo
étonnante, réalisée par des scientifiques de la faculté de médecine
d'Harvard et de l'Institut israélien de technologie. On y voit des
bactéries (en blanc) coloniser en quelques jours les zones les plus
riches en antibiotiques.
Pour mener à bien cette expérience, publiée dans
Science,
Michael Baym, Tami Lieberman et leur équipe ont mis au point un
dispositif original, intitulé "plaque MEGA" (pour Microbial Evolution
Growth Area). Ils ont recouvert la plaque d’un milieu de culture
facilitant la mobilité des bactéries, puis ils l'ont divisée en 9 bandes
dans lesquelles ils ont injecté des concentrations croissantes
d'antibiotiques des extrémités jusqu’au centre. Deux antibiotiques ont
été testés : le triméthoprime (TMP), qui freine le développement
bactérien, et le ciprofloxacine (CPR), un bactéricide.
A chacune de ces extrémités, dans la première bande qui ne contient
pas d'antibiotiques, ils ont introduit des colonies de bactéries E. Coli
(visibles en blanc sur la vidéo). Progressivement, on observe alors les
bactéries coloniser la bande située à côté et contenant des doses de
TMP et de CPR respectivement trois et deux fois supérieur à la
concentration minimale inhibitrice (CMI), c'est-à-dire la plus faible
concentration d'un antibiotique inhibant la croissance d'un
microorganisme.
Les bactéries n'auraient pas dû survivre dans cette zone. Mais certains
mutants ont émergé et ce sont ces derniers qui ont réussi à atteindre le
palier suivant. Jour après jour, de nouveaux mutants apparaissent,
capables de franchir le 2e palier – donc de résister à une concentration
d’antibiotiques encore supérieure. Et ainsi de suite, jusu’à atteindre
des concentrations 1000 fois plus élevées que celles de la deuxième
bande. Le tout en seulement 10 jours pour le TMP et 12 jours pour le CPR
!
L'un des coauteurs de cette étude, Roy Kishony, de l'Institut israélien de technologie, a expliqué à
La Recherche l'importance et les implications d'une telle expérience.
LA RECHERCHE - Quel est le but de cette vidéo ?
Alerter le public sur la résistance aux antibiotiques ou tester
certaines hypothèses scientifiques ?
ROY KISHONY - Les
deux. Cela montre visuellement comment évolue la bactérie et combien il
est facile pour elle de devenir résistante. Et, du côté de la
recherche, cela nous permet de cartographier systématiquement les
différents changements génétiques dont dispose la bactérie pour devenir
résistante.
LR - Utilisez-vous le dispositif utilisé dans cette vidéo dans votre travail scientifique quotidien ?
RK -
Oui en effet. Notre objectif est de générer une base de données
exhaustive des changements génétiques conduisant à la résistance, et
d'utiliser cette base de données pour construire des "diagnostics
préventifs". Ces derniers, fondés sur le génome d'un pathogène, nous
permettront de prédire comment il évoluera au contact de différents
antibiotiques.
LR - Considérez-vous le phénomène de résistance aux antibiotiques que vous avez filmé ici particulièrement remarquable ?
RK - La
force de ce film est qu'il fournit une démonstration visuelle de
l'évolution, des mutations, et de la sélection - des termes qui sont
sinon assez vagues et abstraits.
Sophie Coisne (avec
Bérénice Robert)
Pour en savoir plus, découvrez le dossier du dernier numéro de La Recherche, actuellement en kiosque.
Photo : Des bactéries E. Coli ©
SPL/BSIP
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