vendredi 23 septembre 2016

Les glaciers de Pluton décryptés

Quelle est l'origine du colossal glacier d'azote en forme de cœur découvert en 2015 par la sonde New Horizons sur Pluton ? Deux chercheurs du Laboratoire de météorologie dynamique (CNRS/École polytechnique/UPMC/ENS Paris)1 ont montré que l'insolation sur Pluton et la nature de son atmosphère favorisent la condensation d'azote près de l'équateur, dans les régions de basse altitude, entrainant une accumulation de glace au fond de Sputnik Planum, un vaste bassin topographique. Grâce à leurs simulations numériques, ils ont également percé le mystère de la distribution particulière des autres types de glaces observées sur Pluton, et de l'abondance de leurs constituants dans l'atmosphère. Leurs résultats sont publiés dans Nature le 19 septembre 2016.


Pluton 1
© NASA/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute.
La calotte de glace de « Sputnik Planum », en fausse couleur, est entourée de montagnes. Ces dernières sont apparemment sculptées par l'incessante activité des glaciers d'azote. Les zones sombres sont couvertes de matières organiques issues de la photochimie du méthane exposée au rayonnement ultraviolet du Soleil.

 

Pluton est un paradis pour les glaciologues. Parmi les types de glaces qui la recouvrent, celle d'azote est la plus volatile : elle forme en se sublimant2 (à -235 °C) une fine atmosphère, en équilibre avec le réservoir de glace en surface. Une des observations les plus inattendues de New Horizons en juillet 2015 a montré que ce réservoir d'azote solide est extrêmement massif, et essentiellement contenu dans « Sputnik Planum », un bassin topographique situé entre les tropiques de Pluton. Du givre de méthane apparaît par ailleurs partout dans l'hémisphère nord3, sauf à l'équateur, tandis que la glace de monoxyde de carbone a été détectée, en faible quantité, seulement dans Sputnik Planum.

Jusqu'à présent, la répartition de ces différentes glaces sur Pluton restait inexpliquée. Pour mieux comprendre les processus physiques à l'œuvre sur Pluton, les chercheurs ont développé un modèle thermique de la surface de la planète naine capable de simuler les cycles de l'azote, du méthane et du monoxyde de carbone sur des milliers d'années. Ils ont ensuite comparé ce modèle aux observations fournies par la sonde New Horizons. Leur modèle montre que c'est l'équilibre solide-gaz de l'azote qui permet de le piéger sous forme de glace dans Sputnik Planum. Au fond de ce bassin, la pression de l'atmosphère - et donc de l'azote gazeux - est plus forte, et la température est plus élevée qu'à l'extérieur, ce qui permet à l'azote de s'y condenser en glace4. Les simulations montrent que la glace d'azote s'accumule inévitablement dans le bassin, formant ainsi un réservoir d'azote permanent tel qu'observé par New Horizons.

Les simulations numériques décrivent également le cycle du méthane et du monoxyde de carbone. Du fait de sa volatilité proche de celle de l'azote, la glace de monoxyde de carbone est entièrement séquestrée avec l'azote dans le bassin, conformément aux détections de New Horizons. Quant à la glace de méthane, sa plus faible volatilité aux températures régnant sur Pluton lui permet de son côté d'exister ailleurs que dans le glacier de Sputnik Planum. Le modèle montre en effet que du givre de méthane pur couvre de façon saisonnière les deux hémisphères, en accord avec les données de New Horizons.

Ce scénario montre qu'il n'y a pas besoin de connexion avec un réservoir d'azote interne pour expliquer la formation du glacier de Sputnik Planum, comme le suggéraient de précédentes études. Ce sont des principes physiques bien connus qui sont à l'origine de ce cocktail de glace sur Pluton et de sa spectaculaire activité, une des plus étonnantes du système solaire. Les chercheurs prédisent également que la pression atmosphérique est actuellement à son maximum saisonnier5 et qu'elle va diminuer dans les prochaines décennies, tandis que les givres saisonniers tendront à disparaître6.



Pluton 2
© Laboratoire de météorologie dynamique (CNRS/École polytechnique/UPMC/ENS Paris) / NASA/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute.
Pluton observée par New Horizons en juillet 2015 (à gauche), comparée au résultat du modèle à cette date (à droite).



Pluton 3
© Laboratoire météorologie dynamique (CNRS/École polytechnique/UPMC/ENS Paris); NASA/JPL/MSSS; NASA/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute.
Pluton comme Mars. Si le mécanisme de condensation de l'atmosphère dans des régions de basse altitude n'a pas d'équivalent sur Terre, il était déjà connu sur Mars (à gauche), où l'atmosphère de CO2 peut se condenser à la surface comme l'azote sur Pluton (à droite en fausse couleur, avec le grand glacier d'azote au fond du bassin Sputnik Planum au centre de l'image). Durant l'hiver et le printemps martiens, la glace carbonique recouvre préférentiellement le fond du cratère Hellas (en bas de la photo de Mars), qui, comme Sputnik Planum, se situe plusieurs milliers de mètres en dessous du niveau des régions avoisinantes qui restent libres de glace.



Télécharger le communiqué de presse : CP glaciers Pluton 

Notes :

1 Ces travaux sont soutenus par le CNES.
2 La sublimation est le passage de l'état solide à l'état gazeux.
3 L'hémisphère sud n'a pu être observé par New Horizons car il était plongé dans la nuit.
4 Ce mécanisme simple est aussi observé sur Mars (voir dernière figure).
5 L'année sur Pluton dure 248 années terrestres.
6 Le glacier est à peine modifié par le cycle saisonnier.

Références :

Observed glacier and volatile distribution on Pluto from atmosphere–topography processes.
Tanguy Bertrand et François Forget. Nature, le 19 septembre 2016. DOI : 10.1038/nature19337.
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