lundi 19 septembre 2016

Un coup de langue fatal

Comment le caméléon, redoutable chasseur, parvient-il à agripper ses proies au bout de sa langue ? Le mucus sécrété serait la clé de son efficacité.

Pop. À peine sortie, la langue du caméléon est déjà rétractée. Pas facile de saisir sur le vif ce coup de langue catapulté sur sa proie. La langue du caméléon est, toutes choses égales par ailleurs, le muscle le plus performant de tous les vertébrés. Mais par quel mécanisme la proie reste-t-elle attachée à la langue ? Une ventouse au bout de la langue ? Un effet Velcro ? Non, ce sont en fait les propriétés physiques du mucus sécrété par la langue qui sont responsables de cette efficacité. En mesurant la viscosité du mucus, une équipe de physiciens et de biologistes franco-belge a en effet montré qu'il était très visqueux, à l'instar du miel.
Les quantités de mucus produites par le caméléon sont tellement infimes qu'il est impossible de mesurer ses propriétés d'écoulement à l'aide d'un appareil de rhéométrie. Il a donc fallu redoubler d'ingéniosité pour l'étudier. Les chercheurs ont récolté du mucus sur la langue d'un caméléon, l'ont disposé sur un plan incliné et ont fait rouler une bille dessus. À son contact, la bille ralentit mais, toujours soumise à la gravité, poursuit sa descente à vitesse constante. C'est en analysant ce mouvement à l'aide d'une caméra haute vitesse que le verdict est tombé : la viscosité de ce mucus est environ 400 fois supérieure à celle de la salive humaine.
Mais il ne faut pas s'y tromper, « cette fine couche de mucus à la surface de la langue ne contient pas de molécules aux vertus "collantes", explique Vincent Bels, du Muséum national d'histoire naturelle, à Paris, et coauteur de l'étude. La viscosité renvoie ici à la résistance à l'écoulement uniforme dans un fluide ».
STRATÉGIE ÉVOLUTIVE
Et il faut faire vite : la proie peut tomber et retrouver sa liberté, si le temps de décrochage de la proie est inférieur à celui de la rétractation de la langue. Ainsi, une fois la viscosité mesurée, les physiciens ont introduit ce paramètre dans un modèle mécanique qui décrit les mouvements conjoints de la proie et de la langue pendant la capture. À l'aide de ce modèle, ils ont pu prédire la masse maximale de la proie que les caméléons peuvent chasser efficacement. Résultat : ils pourraient attraper des proies pesant jusqu'à 30 % de leur masse grâce au comportement visqueux du mucus. « C'est comme si un homme pouvait capturer une proie de 25 kg avec la langue », s'amuse Pascal Damman, de l'université de Mons et coauteur de l'étude.
Pour Vincent Bels, cette découverte ouvre de nouvelles voies d'exploration : « Le système décrit et aujourd'hui modélisé est retrouvé de manière globale dans l'ensemble des tétrapodes. Cette viscosité résulte très certainement d'une stratégie évolutive directement reliée à la capacité de capturer les proies avec la langue à des distances de plus en plus élevées. »
http://www.larecherche.fr/physique/un-coup-de-langue-fatal

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