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À peine sortie, la langue du caméléon est déjà rétractée. Pas facile de
saisir sur le vif ce coup de langue catapulté sur sa proie. La langue
du caméléon est, toutes choses égales par ailleurs, le muscle le plus
performant de tous les vertébrés. Mais par quel mécanisme la proie
reste-t-elle attachée à la langue ? Une ventouse au bout de la langue ?
Un effet Velcro ? Non, ce sont en fait les propriétés physiques du mucus
sécrété par la langue qui sont responsables de cette efficacité. En
mesurant la viscosité du mucus, une équipe de physiciens et de
biologistes franco-belge a en effet
montré qu'il était très visqueux, à l'instar du miel.
Les quantités de mucus produites par le caméléon sont tellement
infimes qu'il est impossible de mesurer ses propriétés d'écoulement à
l'aide d'un appareil de rhéométrie. Il a donc fallu redoubler
d'ingéniosité pour l'étudier. Les chercheurs ont récolté du mucus sur la
langue d'un caméléon, l'ont disposé sur un plan incliné et ont fait
rouler une bille dessus. À son contact, la bille ralentit mais, toujours
soumise à la gravité, poursuit sa descente à vitesse constante. C'est
en analysant ce mouvement à l'aide d'une caméra haute vitesse que le
verdict est tombé : la viscosité de ce mucus est environ 400 fois
supérieure à celle de la salive humaine.
Mais il ne faut pas s'y tromper,
« cette fine couche de mucus à la surface de la langue ne contient pas de molécules aux vertus "collantes", explique Vincent Bels, du Muséum national d'histoire naturelle, à Paris, et coauteur de l'étude.
La viscosité renvoie ici à la résistance à l'écoulement uniforme dans un fluide ».
STRATÉGIE ÉVOLUTIVE
Et il faut faire vite : la proie peut tomber et retrouver sa liberté,
si le temps de décrochage de la proie est inférieur à celui de la
rétractation de la langue. Ainsi, une fois la viscosité mesurée, les
physiciens ont introduit ce paramètre dans un modèle mécanique qui
décrit les mouvements conjoints de la proie et de la langue pendant la
capture. À l'aide de ce modèle, ils ont pu prédire la masse maximale de
la proie que les caméléons peuvent chasser efficacement. Résultat : ils
pourraient attraper des proies pesant jusqu'à 30 % de leur masse grâce
au comportement visqueux du mucus.
« C'est comme si un homme pouvait capturer une proie de 25 kg avec la langue », s'amuse Pascal Damman, de l'université de Mons et coauteur de l'étude.
Pour Vincent Bels, cette découverte ouvre de nouvelles voies d'exploration :
«
Le système décrit et aujourd'hui modélisé est retrouvé de manière
globale dans l'ensemble des tétrapodes. Cette viscosité résulte très
certainement d'une stratégie évolutive directement reliée à la capacité
de capturer les proies avec la langue à des distances de plus en plus
élevées. »
http://www.larecherche.fr/physique/un-coup-de-langue-fatal
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